De l'or entre les mains

Chapter II

Plus de sept semaines déjà depuis l'inauguration d'ouverture du magasin. Le mois de septembre est maintenant bien entamé et le bouche-à-oreille commence à faire son effet.

Les collections de sautoirs Leticia Ponti, choisies lors du salon international dédié au marché du bijou en France font un tabac. Joanne est ravie. Elle avait craqué pour ces pièces de haute fantaisie faites mains de la talentueuse créatrice. Elles avaient de suite sympathisé tandis que Joanne effectuait son premier tour du salon en janvier dernier. La créatrice avait même partagé avec Joanne son carnet d'adresse, elle-même ayant choisi de s'adresser à un atelier parisien pour la réalisation des dorures à l'or 24 carats de ses bijoux. La Bijorhca Paris existe depuis 1936 et rassemble plus de trois cent marques le temps d'un week-end afin d'accueillir particuliers comme artisans et bijoutiers venus du monde entier pour faire affaire. Joanne est restée, accompagnée de sa mère, un peu plus de deux jours sur le salon et ses yeux ont brillé de mille feux. Elle est revenue très satisfaite d'elle-même, avec de belles ententes et de belles commandes qui viendront enrichir ses collections d'ici peu.

Joanne mise beaucoup sur ce magasin. Cette petite surface qui lui sert d'antre et dans laquelle elle a pu mettre tout son cœur. Sacha est passée la voir aujourd'hui.

– C'est plutôt chargé et assez sombre comme espace, furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche.

Comme à son habitude, elle opta pour mettre du baume sur la faille qu'elle venait de creuser. Attirée par la collection de sautoir aux styles méditerranéens et qui sont une invite au voyage, elle s'exclama :

– Par contre, très bon choix sur cet échantillonnage, ils sont sublimes. Leur aura met d'ailleurs un peu en péril l'exposition de tes propres créations. Est-ce vraiment judicieux de les placer si proches les uns des autres ? Tes boucles ne se vendront jamais !

Dans le dos de son amie, Joanne lève les yeux au ciel. Ne pourrait-elle jamais faire preuve d'un peu d'optimisme et de bienveillance à son égard ? La jeune fille est blessée mais s'empresse de faire s'évanouir ses pensées tristes et vient vérifier ce qu'entend Sacha en se rapprochant, puis en prenant appui depuis différents angles du magasin. Elle fait la moue mais ne répond toujours pas directement à Sacha.

– Comment se passent tes ventes ? s'enquiert cette dernière.

Joanne ne parvient pas à cerner la pointe de sarcasme à laquelle elle s'est pourtant habituée et lui répond donc de bon cœur.

– Très honnêtement, je suis surprise des résultats. J'ai fait de belles ventes. Je crois que les clients et acheteurs du site web qui ont la possibilité de venir sur place ont été curieux et les promotions de départ font leurs effets. Merci à toi d'ailleurs, j'ai imaginé cet aspect promotionnel sur base de ce qui fonctionne pour toi.

Joanne voit Sacha faire de grands yeux avant que ton regard ne s'assombrisse subtilement. Ne souhaitant pas y faire face et sans comprendre ce qui peut ainsi fâcher son amie, la jeune fille se détourne pour justement accueillir une cliente qui traîne face à la devanture sans oser pénétrer dans le magasin.

– Bienvenue dans ma boutique, chantonne Joanne à l'attention de la cliente. Puis-je faire quelque chose pour vous aider ?

Son attrait pour la vente et pour le contact client prend ici tout son sens. Joanne est ravie de son choix, même si depuis les dernières semaines d'ouverture et malgré les visites ponctuelles d'une future clientèle fidèle, la jeune fille ressent déjà une sorte de lassitude en lien avec la sédentarité que lui impose le magasin. Elle n'est plus libre de bouger comme elle l'entend ou de modifier ses horaires le cas échéant. Les amateurs de bijoux s'attendent à ce que le magasin soit ouvert lors de leurs déplacements en ville, ce qui fait sens bien entendu. Et ce n'est pas son comptable qui lui dira le contraire !

Tandis que la dame se penche avec plus d'attention sur une pièce de collection, Sacha s'immisce dans la conversation imperceptiblement.

– Vous devriez faire un essai et porter la pièce. Je crains que l'or blanc ne mette pas votre teint en valeur et marque plutôt les ravages du temps.

Joanne a blêmi à l'autre bout de la pièce. Elle s'inquiète de ce que peut représenter un tel affront pour la cliente. Comment Sacha peut-elle oser s'exprimer ainsi ! Elle risque bien de faire fuir les acheteurs.

Sacha a pourtant chaleureusement proposé à Joanne de la remplacer au magasin pendant son absence d'une dizaine de jours en Amérique du Sud. Une stagiaire avec laquelle elle a l'habitude de travailler la remplacera à son propre espace de tatouages. Joanne ne sait plus que penser. Elle avait sauté au cou de son amie quand celle-ci lui avait annoncé la nouvelle, sentant qu'elle pouvait lui faire confiance et déjà tellement redevable du temps que lui dégageait Sacha.

La cliente a fait mine de ne pas se vexer mais Joanne a perçu le changement d'attitude. On sent presque l'envie pressante de la dame d'une quarantaine d'années de se sortir de la boutique. Elle a soupiré, pris un peu de recul par rapport aux pièces qu'elle admirait quelques minutes plus tôt. Joanne est désolée et ne sait comment rattraper l'engouement de la cliente pour les bracelets qui attiraient son attention. Sans plus de temps perdu, la dame salue les deux jeunes filles et quitte le magasin avec un regard peiné.

– Pourquoi étais-tu obligée de lui parler du temps qui marque son corps ? s'empresse de demander Joanne à son amie.

– Je n'ai fait qu'énoncer la vérité, les bijoux ne servent qu'à embellir quelque chose qui ne brille plus depuis déjà fort longtemps !

La jolie blonde est refroidie par l'agressivité de Sacha, qu'elle ne se rappelle plus d'avoir connue ainsi. Se renfrognant un peu dans ses propres pensées, Joanne s'apprête à fermer le magasin en pensant maintenant à son voyage qui se rapproche rapidement. Lundi prochain, elle sera réchauffée par le soleil du Costa Rica et elle ne peut que se fier à cette amie qui agit dernièrement pourtant très étrangement.