Rien ne pouvait se révéler plus envoutant que la voûte étoilée traversée par le voile nébuleux de la Voie Lactée.
C'était du moins une pensée qui devait effleurer l'esprit des personnes à l'époque où elles vivaient sur Terre et levaient, à l'occasion, leur regard vers le firmament. Alors se rappelaient-elles sans doute alors qu'elles vivaient sur une poussière d'étoile. On pouvait y observer des aurores, boréales ou australes, et contempler ces phénomènes électromagnétiques, l'un des spectacles les plus enchanteurs qui soit. La Lune, tel un diadème accroché au sommet d'un dôme, diffusait une lueur rassurante dans l'obscurité infinie de l'espace, à une époque où la lumière était source de sécurité et de prospérité. C'était une période révolue. Avant la Muabilité, avant la Fondation, avant la Nuit Éternelle, avant l'Âge Sombre.
De nombreuses œuvres archaïques mentionnaient ce terme, ou quel qu'en soit le nom qu'on lui attribuât, et ce, sous toutes formes : audiovisuelles, holographiques ou sous forme d'idéogrammes. Quelles que soient les langues, les cultures, les époques, toutes s'accordaient sur la façon de le décrire : décadence, apocalypse, misère, effondrement, asservissement... Il était lié à un champ lexical rempli de connotations négatives, où des interprétations figuratives du mot original illustraient la fin de la société humaine. Il était étrange de noter que le terme avait donné naissance à celui qualifiant le naufrage, la disparition, l'enlisement.
Si l'Âge Sombre tant prophétisé avait fini par se concrétiser, il n'avait pas plongé l'humanité dans une crise dévastatrice. Bien au contraire, il avait été l'opportunité pour s'élever au stade supérieur. La lumière autrefois tant révérée était désormais fuite, repoussée, proscrite.
Citlali sortit de ses contemplations rêveuses et se redressa, observant les alentours depuis sa méridienne. L'observatoire était désormais vide. Plus personne pour la juger avec suspicion et condescendance dès qu'elle laissait libre cours à ses pérégrinations spirituelles. Quand on avait adopté l'obscurité pour survivre, les étoiles devenaient très rapidement un élément du décor des rendez-vous quotidiens que l'on finissait par ne plus regarder. L'enthousiasme avait fait place à la banalité. La magie avait été remplacée par la routine. L'imagination s'était mue en réalité. Enfermée dans sa bulle de fibre de carbone, d'aluminium et de verrastique, en orbite synchrone autour de la Terre, l'Humanité ne rêvait plus de partir à la conquête des étoiles mais de fouler à nouveau le plancher des vaches et de respirer un air non recyclé. Mais cela n'était qu'un doux rêve. Un rêve inaccessible. Pas sans abattre la peur primale qui habitait le cœur de cette même Humanité.
Une torpeur régnait dans les couloirs d'Isaac1 : du fait de la faible gravité, les occupants avaient, au fil des générations, perdu peu à peu l'habitude de se mouvoir en se laissant plutôt flotter et dériver au gré des faibles impulsions qu'ils se donnaient. L'Humanité se déplaçait plus lentement que sur la terre ferme, ce qui avait donné après au cours du temps cette impression de nonchalance permanente. Citlali aurait bien aimé pouvoir courir et sauter comme ces personnages imaginaires qui peuplaient les histoires ancestrales, mais son organisme n'y était plus adapté. À l'inverse, ses yeux étaient désormais habitués à la quasi-obscurité qui enveloppait la station, ce qui permettait des économies d'énergie précieuses en électricité sans pour autant rendre superflu le filtre photonique des baies vitrées, ni la Bio-tenue qui lui tenait lieu de vêtement.
La lumière demeurait dangereuse. C'était une vérité absolue. La Vérité.
C'était ce qu'on lui avait rabâché depuis son plus jeune âge. C'était la raison pour laquelle la Maternité et les chambres étaient les seules sections sans la moindre ouverture, car les seules où les Pionniers pouvaient retirer leurs Bio-tenues. C'était pour cela qu'après la Fondation, l'Humanité s'était plongée dans la Nuit Éternelle. La Vérité était un enseignement plus fondamental encore que toutes les lois qui régulaient la vie dans la station, une doctrine supérieure même à la Chartre d'Isaac, pourtant le texte de plus haute importance au sein de l'Humanité. Aucun crime ne pouvait être pire que de violer la Vérité. Même les vieux croulants de l'Académie des Sciences et Connaissances Philosophiques n'osaient la remettre en question. Pourtant, ils se donnaient un malin plaisir à discréditer ce que leurs précurseurs avaient établi comme Principes Fondamentaux de la Nature depuis l'Antiquité.
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Noces transidérales
Science FictionSuite à une catastrophe solaire, l'Humanité s'est vue contrainte de trouver refuge dans une station spatiale en orbite. Forcée de rester dans l'ombre de la Terre, les survivants ont peu à peu créer une nouvelle société basée sur de nouveaux mythes e...