Chapitre 54

17 1 3
                                    

Tanya sentit Yangcha se détendre et respirer enfin. Exténuée, elle vacilla. Il la rattrapa et l'aida à se rasseoir.

On va attendre un moment qu'ils se soient suffisamment éloignés.

- Mhm.

Yangcha profita de ce moment de répit pour changer les pansements de Tanya. La plaie s'était infectée et le sang continuait de couler. Il se retint de formuler ses craintes pour ne pas l'inquiéter, mais son état se dégradait dangereusement.

- J'ai froid

C'est normal. Il fait froid.

Pour la troisième fois, ils repartirent. Comme le temps le permettait, il lança la jument au galop. Elle filait entre les arbres, enfonçant profondément ses sabots dans l'épaisse couche de neige qui recouvrait le sol. Tanya basculait parfois sur le côté ce qui obligeait Yangcha à resserrer les coudes pour la maintenir sur le cheval. Il sentait que sa santé se dégradait au fil des heures tandis que sa monture se fatiguait à force de les trainer tous les deux sur son dos. Elles ne tiendraient plus longtemps. Chaque foulée faisait trembler son cœur d'espoir et d'angoisse. Chaque pas les rapprochait de leur destination, mais l'incertitude d'y parvenir à temps grandissait. Parfois, la fatigue troublait sa vue. Il avait dû se réorienter plusieurs fois pour être certain qu'ils suivaient la bonne direction. Le soleil déclinait, baignant la forêt d'une lumière rougeoyante. Puis, le jour mourut et la nuit tomba, les plongeant dans une obscurité opaque. Yangcha choisit de continuer leur route au pas. Quand ils s'arrêtèrent une nouvelle fois, Tanya approcha sa main de son visage et lui ôta son masque.

- Pourquoi le portes-tu encore ?

Par habitude....Il fait un peu partie de moi maintenant.

Tanya sembla réfléchir à ses propos, puis hocha la tête. Elle tenta de s'approcher de lui, mais le plus petit mouvement devenait difficile pour elle. Yangcha s'avança pour lui éviter de se fatiguer. Elle leva les yeux vers lui, posa sa main sur sa joue et laissa courir ses doigts sur son visage. Elle effleura ses sourcils, repoussa d'un geste les cheveux qui retombaient sur son front. Il ferma les yeux quand ses doigts s'en approchèrent. Elle les posa brièvement sur ses paupières, puis ils s'attardèrent sur ses lèvres. Il rouvrit les yeux. Il se rendit compte qu'il retenait son souffle quand il commença à manquer d'air. Il reprit sa respiration, gonflant trop brusquement ses poumons d'air.

Qu'est-ce que tu fais ?

- J'essaye d'imprimer ton visage dans ma mémoire.

Elle approcha son visage du sien. Il hésita sur ses intentions. Elle baissa légèrement la tête et son front se posa sur son épaule.

- J'ai peur.

Il posa une main sur sa tête et mêla ses doigts à ses cheveux.

Tiens bon ,  Tanya.

Elle passa ses bras autour de son cou et y enfouit son visage.

- J'ai froid. J'ai....

Elle suspendit sa phrase là et les mots qu'elle avait l'intention de prononcer ne franchirent jamais ses lèvres. Il hésita un instant, puis il se décida à vaincre sa pudeur et l'enlaça. Il l'attira un peu plus contre lui et la serra dans ses bras. Il bascula la tête vers l'arrière et ferma les yeux. Ce sont les tremblements de Tanya, toujours blottie contre lui, qui le tirèrent de son sommeil. Il se redressa, la repoussa et se pencha pour voir son visage. Elle était terriblement blême et brûlante. Il la secoua pour la réveiller, mais ses yeux demeurèrent clos. Elle fronça à peine les sourcils. La panique le submergea. Il était complètement désemparé et n'avait aucune idée de ce qu'il devait faire. Il se leva d'un bond, rassembla leurs affaires, et détacha sa ceinture. Il hissa Tanya sur le dos du cheval et la sangla avec sa ceinture de manière à ce qu'elle ne tombe pas pendant leur course. Il monta à son tour et s'élança à travers les sapins. Il devait trouver un village, un médecin, n'importe qui qui puisse l'aider. S'il ne s'était pas trompé, ils n'étaient plus très loin de la rivière qui séparait Arthdal de la forêt d'Agoha. Normalement, les Agos avait dû envoyer des soldats aux abords du fleuve pour surveiller les mouvements des Daekans. Il chevaucha sans s'arrêter une seule fois jusqu'à ce qu'il entende enfin les tumultes de l'eau qui frappaient les berges. Quand le bras du fleuve apparut devant lui, il ralentit l'allure et scruta les alentours à la recherche de n'importe quelle âme qui vive sans se départir de sa méfiance Il ne vit personne et le vacarme de l'eau couvrait tous les bruits qu'un homme aurait pu faire. S'il voulait rejoindre la tribu Ago, il n'avait d'autres choix que de traverser, mais le courant était rapide et puissant, rendant sa traversée périlleuse. Son cheval était tellement épuisé par le voyage que Yangcha doutait de sa capacité à résister aux assauts de l'eau. S'ils tombaient, ils seraient emportés par le courant et avaient peu de chance de rejoindre la berge sains et saufs. Il jeta un œil à Tanya. Elle était toujours inerte, mais elle respirait encore. Ça le rassura, le gonfla d'espoir et de témérité. Il fallait traverser s'il voulait la sauver. Il avança son cheval aux bords du fleuve. Il le sentit se raidir et s'agiter. Il le talonna avec force pour le plier à sa volonté. Il entendit soudain une flèche siffler à côté de son oreille. Il leva les yeux et observa la rive opposée, mais l'archer était invisible, sans doute caché dans les arbres ou les fourrés enneigés. A découverts et ralentis par l'eau, ils seraient des cibles faciles. Il rebroussa chemin pour battre en retraite dans les bois. Il descendit du cheval et chercha frénétiquement un tronc d'arbre mort, n'importe quoi qui pourrait lui servir de bouclier. Il dénicha enfin un reste de tronc décomposé. D'un coup de pied, il brisa le bois en deux, s'empara du bout le plus large et le plus épais. Il sortit de sa sacoche le poignard de Tanya et creusa deux entailles dans l'écorce pour fabriquer une prise. Il remonta sur son cheval et se dirigea une nouvelle fois vers la rive, son bouclier improvisé devant eux. Comme il s'y attendait, on tira une autre flèche qui les manqua une fois de plus. Piètre archer. Sa jument posa un sabot dans l'eau glacée, hennit de mécontentement, mais Yangcha resserra les jambes et les coudes pour l'obliger à poursuivre. Elle avançait difficilement. A chaque pas, elle s'enfonçait dans l'eau qui léchait déjà ses jarrets. Une flèche fila vers eux et se ficha cette fois-ci dans le bois de son bouclier. Yangcha tentait de le maintenir devant eux, tout en guidant au mieux sa monture et en veillant à ce que Tanya ne glisse pas dans l'eau. Le cheval trébucha, perdant momentanément l'équilibre. Yangcha se sentit basculer sur le côté. Il rattrapa Tanya de justesse et la repoussa pour la redresser. Une autre flèche se planta dans le bouclier. Il était à bout de souffle. Le niveau de l'eau était maintenant si haut que ses pieds touchaient la surface du fleuve. La rive opposée n'était plus qu'à quelques pas. Il entendit une flèche fendre l'air, mais elle ne toucha pas son bouclier. Il crut un instant que l'archer avait encore manqué sa cible, mais quand la jument poussa un hennissement étranglé, il comprit à quel point leur situation était critique. Il lâcha le bouclier. Le cheval lâcha prise et se laissa emporter par le courant. Ils furent aussitôt plongés dans l'eau. Yangcha se débattait pour maintenir la tête de Tanya hors de l'eau, mais il n'y parvenait qu'en se laissant submerger lui-même. Il plongea dans l'eau et tenta de dénouer la ceinture qui liait Tanya au cheval. Le désespoir le gagnait peu à peu à force d'échouer. Il attrapa le poignard de Tanya et plongea une fois de plus pour scier la sangle qui la retenait. Au bord de l'asphyxie, il était sur le point de remonter quand la ceinture céda. Il battit des jambes et une fois à la surface, il prit une profonde respiration et toussa simultanément. Il sentit le corps de Tanya se débattre dans ses bras. Il tourna la tête vers elle. La force du courant avait dû l'extirper de sa léthargie. La tête à peine hors de l'eau, elle le chercha du regard. Il la serra un peu plus fort contre lui pour s'assurer que le courant ne les sépare pas. Il puisa dans le peu de force qu'il avait pour nager vers la rive. Tanya tentait vainement de l'aider en brassant l'eau, mais ses forces l'abandonnèrent rapidement. Elle sombrait petit à petit, emportée par la fatigue et la fièvre. Yangcha jeta un regard derrière lui, espérant qu'une aide se présente. Il implora Airuju, Asa Shin et tous les dieux qu'il connaissait quand soudain, il remarqua un endroit où la terre s'était avancée dans le fleuve. Il n'aurait qu'une seule tentative pour s'y agripper, une seule chance de survie. Il brava le courant pour se rapprocher de ce bout de berge et quand il passa à côté, il jeta son bras vers l'avant et referma son point sur les hautes herbes recouvertes de neige qui bordaient le fleuve. Quand il fut certain d'avoir une prise sûre pour pouvoir grimper sur la berge, il attira Tanya vers lui, rassembla ses dernières forces pour pousser sur ses bras et se hisser sur la rive sans lâcher le poignet de Tanya. Il parvint à se coucher à demi sur la terre. Il appuya sur ses mains pour se redresser, souleva sa jambe et grimpa péniblement sur la terre. Une fois à genoux sur le sol, il prit quelques secondes pour reprendre son souffle, puis se tourna vers Tanya, la tira vers lui, passa ses mains sous ses aisselles et la tira hors de l'eau. Il se pencha vers elle pour s'assurer qu'elle respirait encore et quand il sentit sous sa main les battements de son cœur, il s'écroula sur le sol, épuisé. Le corps légèrement enfoncé dans la neige, le froid transperçait ses os. Il ne pouvait réprimer les frissons qui le secouaient. Il sentit ses muscles se raidir et s'engourdirent. Il ferma les yeux un moment, puis les rouvrit en sursaut. Il ne pouvait pas s'endormir. Sous aucun prétexte. Il se redressa précipitamment. Tanya était allongée près de lui. Elle respirait lentement et bruyamment. Ses sourcils se fronçaient de temps en temps comme si elle était en proie à de terribles cauchemars. Il devait trouver un moyen de se réchauffer. Il la redressa. Elle émit un léger gémissement. Il prit ses mains et les frictionna. Il entendit un craquement dans son dos et se retourna, la main sur son épée. Trois guerriers Ago le menaçaient de leurs flèches. Le soulagement le submergea autant que l'appréhension lui nouait la gorge. Les hommes qui se tenaient devant lui étaient leur unique chance de survie, les seuls qui pourraient les aider et les mener à Eunseom. Cependant, ils représentaient également le plus grand danger. Il leva doucement les mains pour signifier qu'il ne leur voulait aucun mal, mais les regards qui étaient braqués sur lui étaient aussi aiguisés que la pointe de leurs flèches.

- C'est un Daekan, grogna le plus grand d'entre eux.

- Tuons-le !



The Great White Wolf and the GosalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant