Chapitre 1 (Réécrit)

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Au petit matin, la campagne de Rivermoore était plongée dans un décor automnal. Les arbres avaient peint leurs feuilles de nuances chaudes, allant de l'ocre au rouge cramoisi. L'air devenait plus frais chaque jour et était imprégné d'odeur de lichen et de terre humide. Seul le gazouillement des oiseaux perçait ce voile de silence et de brume.

Dans la demeure des Merryweather, tout était calme. Les habitants n'avaient pas encore ouvert l'œil, confortablement emmitouflés dans leurs couvertures. Enfin, presque tous.

À l'étage, les lourds rideaux vermeilles occultaient la lueur naissante du soleil, plongeant la chambre à coucher dans une pénombre réconfortante. Sur la droite, près du lit à baldaquin, gisaient draps, couvertures et oreillers. Ils avaient été jetés là, comme si le dormeur s'était levé en toute hâte. En face, se tenait une coiffeuse joliment ciselée, sans grande extravagance, un simple meuble en bois blanc en parfaite harmonie avec la décoration champêtre de la pièce. Une brosse à cheveux, des épingles et quelques rubans avaient été abandonnés sur la petite table dans la précipitation. Plus loin, l'armoire éventrée avait vomi l'intégralité de sa penderie, déversant ainsi robes, chemises et pantalons.

— Marie ! appela une voix enjouée, loin d'être rouillée par la nuit qu'elle venait de passer.

La porte de la chambre s'ouvrit sur une domestique tenant dans ses mains un plateau recouvert d'une cloche. Sans se hâter, elle déposa le plateau sur un guéridon avant de se diriger vers la fenêtre et d'ouvrir les rideaux. La fatigue se lisait sur son visage pâle. Sans doute la raison de son indifférence face à l'énergumène en chemise de nuit qui piétinait d'impatience près de l'armoire, une robe en mousseline lilas dans une main et une brosse emmêlée dans ses cheveux.

— Je n'en reviens pas !, poursuivit-elle, toujours aussi gaiement. C'est merveilleux ! Ou bien au contraire, c'est terrifiant ! C'est merveilleusement terrifiant ! Marie, je ne sais pas quoi en penser !

La fameuse Marie lança un regard lasse à la demoiselle qui lui faisait face. Elle lui prit la robe des mains et la rangea dans la penderie. Ses mouvements étaient lents et maîtrisés, à la fois doux et fermes, attestant de sa longue expérience en tant que femme de chambre. Elle savait comment calmer les élans de sa demoiselle. Elle lui saisit ensuite les épaules et la fit s'asseoir sur le lit. La demoiselle n'avait pas cessé de parler, ses paroles étaient si rapides et décousues que Marie ne prit même pas la peine de se concentrer pour les comprendre. Ça ne servait à rien, quand Lyra Merryweather était comme ça, une seule chose pouvait l'arrêter...

Sans un mot, Marie retira la cloche qui cachait le contenu du plateau. Une délicieuse odeur sucrée se mit à embaumer la pièce, ce qui eut pour effet immédiat de faire taire l'incessant bavardage de la jeune femme. Trois gaufres encore chaudes et recouvertes de sirop d'érable posaient fièrement sur l'assiette en porcelaine.

Les yeux de Lyra pétillèrent d'appétit et semblaient crier : « PETIT DÉJEUNER ! » Ils furent vite accompagnés par le gargouillement de son estomac. Fourchette à la main, elle s'empressa de mordre dedans. À sa première bouchée, elle poussa un grognement de satisfaction.

— Marie, bénies soient tes gaufres !

Marie, de son côté, essayait tant bien que mal de démêler la brosse dans les cheveux de sa demoiselle. Ils étaient si longs et épais que plus elle tirait, plus les nœuds se resserraient autour de la brosse. Voilà ce qui arrivait lorsque Lyra se coiffait seule. Marie sortit de cette imposante tignasse brune un ruban bleu ciel et cinq épingles. Avait-elle essayé de tresser ses cheveux ? Heureusement que la femme de chambre était arrivée à temps pour limiter les dégâts.

— Maintenant que vous êtes plus calme, commença Marie, qu'est-ce qui est merveilleusement terrifiant ?

Lyra se retourna vers elle, dévoilant ses pupilles ambrées si caractéristiques à la famille Merryweather. Pour toute réponse, la demoiselle lui tendit une lettre décachetée.

Le papier était épais et granuleux sous ses doigts. Des gens avec des moyens, pensa Marie. Toutes les familles ne pouvaient pas se permettre d'acheter un papier d'une telle qualité. Les lettres manuscrites étaient joliment calligraphiées à l'encre indigo. Une couleur intrigante et peu habituelle pour une lettre.

À l'attention de

Mademoiselle Lyra Merryweather

En la retournant, Marie cessa de respirer un instant. Ce blason gravé dans le sceau... Ce ne pouvait être... Pourtant... Elle ne l'avait jamais vu en vrai, mais tous les habitants du royaume d'Ambrume le connaissaient. Le casque de chevalier encerclé d'une couronne et d'ornements végétaux. La couleur bleue aurait dû lui mettre la puce à l'oreille !

— Le sceau royal, murmura Marie en passant délicatement son doigt sur la cire.

— Et ce n'est pas le plus incroyable ! s'esclaffa Lyra en se levant d'un bond sur le lit. Leurs Majestés en personnes exigent ma présence lors du Bal d'Hiver. Elles veulent m'entendre conter. Que toute la noblesse du royaume écoute mes histoires !

— Lyra, c'est merveilleux, en effet, se réjouit Marie à son tour. Vos parents sont-ils au courant ? Et vos sœurs ? Ils doivent être si fiers de vous !

— Pas encore, admit la jeune femme. Je me suis rendu compte en me réveillant que j'avais du courrier en retard. Je viens tout juste d'ouvrir la lettre. Et c'était important pour moi que tu sois la première informée. Rien n'aurait été possible sans toi.

Marie sentit ses joues rosir de plaisir. Elle lui rendit l'invitation et lui empoigna fermement les mains. Toute sa fatigue avait disparu.

— Je vais faire de vous la lady la plus somptueuse de la soirée ! Personne ne pourra vous oublier de sitôt. Nous avons du pain sur la planche, insista-t-elle. À partir d'aujourd'hui, c'est bain aux pétales de rose tous les soirs. Je vais aussi vous préparer un masque pour vos cheveux et votre peau à base de miel et de lavande, celui que vous aimez tant. Il vous faut également une nouvelle robe. Donc, il nous faudra aller chez la modiste. Pensez-vous que vos parents accepteront de vous donner un peu d'argent ? Même si ça risque d'être difficile en ce moment. Tant pis, si besoin, je prendrais dans mes économies.

— Tu ne prendras rien dans tes économies, Marie, ordonna froidement Lyra.

La jeune femme fut frappée elle-même par le ton qu'elle venait d'employer. Après une profonde inspiration, elle sourit de nouveau et reprit de son enthousiasme habituel :

— Et je n'ai pas besoin d'une nouvelle robe. Je suis sûre que je pourrais en emprunter une très belle à Enora. Le bal est dans trois semaines, je dois le dire à mes parents et envoyer une réponse rapidement au château. Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir conter ?

— Trois semaines ! Nous avons encore tant de choses à faire et si peu de temps, se lamenta Marie. Il faudra vous débarrasser de vos vilaines cernes, dit-elle en remettant l'assiette vide sur le plateau. Je me charge de vos bagages et de votre tenue pour le grand soir. Vous, vous en informez vos parents et trouvez la meilleure histoire que ces nobles n'ont jamais entendue.

La Conteuse & le Renard doré - En réécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant