Hélas ! dit-elle, en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père, et de savoir ce qu'il fait à présent : elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise, en jetant les yeux sur un grand miroir, d'y voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste.
Ses sœurs venaient au-devant de lui, et malgré les grimaces qu'elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu'elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment après tout cela disparut, et la Belle ne put s'empêcher de penser que la Bête était bien complaisante, qu'elle n'avait rien à craindre d'elle. A midi elle trouva la table mise et pendant son dîner elle entendit un excellent concert, quoi qu'elle ne vît personne.
Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s'empêcher de frémir. La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ? Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant. Non, répondit la Bête, il n'y a ici de maîtresse que vous ; vous n'avez qu'à me dire de m'en aller si je vous ennuie, je sortirai tout de suite. Dites-moi, n'est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon. Vous avez raison, dit le monstre ; mais outre que je suis laid, je n'ai point d'esprit : je sais bien que je ne suis qu'une bête. On n'est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n'avoir point d'esprit : un sot n'a jamais su cela. Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre, et tâchez de ne vous point ennuyer dans votre maison ; car tout ceci est à vous ; et j'aurais du chagrin si vous n'étiez pas contente. Vous avez bien de la bonté, lui dit la Belle ; je vous avoue que je suis bien contente de votre cœur ; quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid. Oh ! dame oui, répondit la Bête, j'ai le cœur bon, mais je suis un monstre. Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d'hommes, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. Si j'avais de l'esprit, reprit la Bête, je vous ferais un grand compliment pour vous remercier ; mais je suis un stupide, et tout ce que je puis vous dire, c'est que je vous suis bien obligé.
La Belle soupa de bon appétit. Elle n'avait presque plus peur du monstre ; mais elle manqua mourir de frayeur, lors qu'il lui dit : La Belle, voulez-vous être ma femme ? Elle fut quelque temps sans répondre : elle avait peur d'exciter la colère du monstre en le refusant ; elle lui dit pourtant en tremblant : Non, la Bête.
Dans ce moment ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sifflement si épouvantable, que tout le palais en retentit ; mais la Belle fut bientôt rassurée, car la Bête lui ayant dit tristement, adieu donc, la Belle, elle sortit de la chambre en se retournant de temps en temps pour la regarder encore.
La Belle, se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête. Hélas ! disait-elle, c'est bien dommage qu'elle soit si laide : elle est si bonne !
La Belle passa trois mois dans ce palais avec assez de tranquillité. Tous les soirs la Bête lui rendait visite, l'entretenait pendant le souper avec assez de bon sens, mais jamais avec ce qu'on appelle esprit dans le monde. Chaque jour la Belle découvrait de nouvelles bontés dans ce monstre. L'habitude de le voir l'avait accoutumée à sa laideur ; loin de craindre le moment de sa visite, elle regardait à sa montre pour voir s'il était bientôt neuf heures, car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n'y avait qu'une chose qui faisait de la peine à la Belle, c'est que le monstre, avant de se coucher, lui demandait toujours si elle voulait être sa femme, et paraissait pénétré de douleur lors qu'elle lui disait que non
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La Belle et la Bête
FantasyUne jeune femme que l'on appelle « la Belle » se sacrifie pour sauver son père, condamné à mort pour avoir cueilli une rose dans le domaine d'un terrible monstre. Contre toute attente, la Bête épargne la Belle et lui permet de vivre dans son château...