Chapitre 1

6 0 0
                                    

      La taverne plongée le brouhaha des rires et du clairon des musiciens, il était presque impossible de ne pas crier pour se faire entendre. Dans un coin cependant, deux silhouettes trapues et encapuchonnées semblaient communiquer en silence sans aucun inconvénient. Il y avait bien de tous les profils dans ce genre d'endroit et, tandis qu'une bande d'ivrogne se mettait à danser, hilares, sur une table ronde au milieu de la pièce, un homme à l'allure arachnéenne rejoignit les deux silhouettes encapuchonnées. Il se contenta de déposer un bout de parchemin devant elles et leva trois doigts. L'une des silhouettes leva quatre doigts charnus. L'Araignée sembla hésiter un instant puis hocha la tête. Il lança un sac sur la table et s'en alla sans demander son reste. Dans le même temps, la musique s'arrêta, au grand déboire des danseurs complètement soûls.

« Merci beaucoup de votre attention, messieurs, dames, » dit Birdie en saluant la foule, dans une main son chapeau et dans l'autre son luth.

Quelques pièces furent lancées en sa direction.

« Encore une, ma jolie ! lui intima un poltron.

– Ce fut un plaisir de jouer ici pour vous, se contenta de dire Birdie avec un grand sourire. Mes accompagnants se feront une joie de vous divertir pour le reste de la soirée. »

Les autres musiciens reprirent une bastringue sous les légers applaudissements tandis Birdie ramassait les pièces qu'elle avait gagnée dans la soirée. Rangeant son luth dans son dos, elle se dirigea alors vers les deux silhouettes encapuchonnées.

« Qui était-ce ? » demanda-t-elle.

Son interlocuteur le plus proche l'invita à s'assoir au plus près, pour ne pas avoir à s'égosiller et pour garder la conversation intime : « Un client ». Il se découvrit alors la tête, laissant s'échapper de longs cheveux tressés, autour d'un visage ossu et renfrogné, marqué de bosses et de cicatrices.

« Allez, Bodua, tu peux être plus précise, » l'encouragea Birdie.

La deuxième personne lui montra le bout de parchemin laissé par l'Araignée. Birdie s'en empara aussitôt et Bodua eut l'air plus mécontent encore.

« Samildanach ! Pourquoi est-ce que tu lui montres ? » feula-t-elle, exaspérée.

Samildanach, le visage toujours dans l'ombre, haussa les épaules.

« Une guivre ! s'exclama Birdie. Juste à quelques lieues de là ! Je peux...

– Moins fort ! la coupa sèchement Bodua. Bon sang, petite... Que vous pouvez êtes bruyants, vous, les humains... »

Birdie regarda autour d'elle et baissa d'un ton : « Je peux venir avec vous ? demanda-t-elle. Il parait que les guivres ont une escarboucle sur le front en guise d'œil et qu'elles peuvent se transformer en jeune fille. »

Avec un ricanement, Bodua vida sa chope de bière.

« Balivernes, dit-elle. Ce ne sont que des contes pour piéger les plus cupides ou les plus lubriques d'entre vous. En vérité, ce n'est qu'un petit dragon médiocre qui s'attaque aux enfants et au bétail.

– Je peux venir avec vous ? insista Birdie.

– Hors de question, petite.

– Pourquoi ? demanda Birdie, butée.

– Je t'aime bien, petite, mais on a pas besoin d'une musicienne dans nos pattes, répondit Bodua.

– Je ne suis jamais dans vos pattes ! protesta Birdie, vexée. Rappelle-moi qui a sauvé Samil de la Bigorne qui allait le dévorer, la dernière fois que je suis venue avec vous ?

– Tu veux dire quand tu as compromis notre discrétion en faisant du bruit et que tu as dû te racheter en faisant diversion pour qu'on puisse tuer la bête ? »

Birdie leva les yeux aux ciel : « Une simple erreur de jeunesse... »

Mais Bodua n'en démordit pas.

« C'est non, Birdie. N'insiste pas. »

Sur ce, elle se leva. Elle avait beau faire une tête et demie de moins que Birdie, elle était deux fois plus large et, caractéristique bien connue chez les nains, trois fois plus costaude.

« Viens Samildanach, dit Bodua à son époux. Allons-nous coucher. Nous avons une longue route à faire demain. Bonne nuit, petite. Je te souhaite bon courage pour la suite. »

À la première heure de la journée, alors que le soleil se levait à peine et que le coq n'avait pas encore chanté, Bodua et Samildanach chargeaient leur mule de diverses provisions et de leur matériel de voyage.

« Aide moi, avec le harnais, grogna Bodua à son époux.

– Attends, je peux le faire, fit Birdie d'une voix joyeuse. »

Bodua eut un mouvement de recul.

« Mille Merlusses, Birdie ! Qu'est-ce que tu fais là ? »

La musicienne s'était levée à la première heure, cheveux soigneusement tressés, chapeau sur la tête et luth dans le dos. Ses yeux noirs brillaient de contentement, face à l'expression incrédule de Bodua.

– J'ai bien réfléchis, je pense que cette mission ferait une superbe chanson. Tu sais comment je suis, plus je risque ma vie, plus la chanson a de succès. »

Samildanach éclata de rire face à une Bodua plus interloquée que jamais.

« Tu es prête à risquer ta vie pour une chansonnette ? s'exclama celle-ci. Décidément, tu es bien téméraire, pour une créature aussi fragile...

– Vous me connaissez depuis assez longtemps pour savoir que je suis plus solide que j'en ai l'air, dit Birdie avec un sourire.

– Ce n'est pas une plaisanterie, petite.

– Oh, mais je suis sérieuse ! »

Bodua partagea un regard à Samildanach, qui hocha la tête.

« Bon, dit-elle, je vois bien qu'on ne peut pas se débarrasser de toi facilement, donc que tout soit bien clair dès maintenant. Tu pousses la chansonnette, tant puis pour ton luth. Tu te fais repérer par la guivre, tant pis pour toi. Si la guivre s'enfuit à cause de toi, tu nous rembourses la commission et si jamais tu fais la moindre bêtise, tu ne devras pas compter sur nous, tu te débrouilles. C'est clair ?

– Comme de l'eau de roche, ma Dame, répondit Birdie, les yeux pétillant.

– T'as intérêt à bien te tenir, je ne veux pas annoncer de mauvaise nouvelle à ta mère. »

Samildanach dénoua la longe de la mule de sa barre d'attache et ouvrit la marche.

« Tu ne la connais même pas, ma mère, répliqua Birdie en pouffant.

– J'aurais juste à chercher une pauvre femme exténuée d'avoir eu à s'occuper d'une gamine comme toi ! Tu es plus fatigante que mes trois fils réunis, et ce n'est pas un compliment ! »

Birdie éclata de rire et les trois compagnons se mirent en route vers le sud.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : May 05, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

L'oiseau chanteurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant