J'ai bien cru que le rideau était tombé pour de bon. Pourtant ... Les fragments de mon essence sont toujours bien présents. Où suis-je ?
Pour la première fois le monde me semble soudain palpable. Le flottement de l'air sur ma peau, le lent va et vient de ma respiration, mes paupières qui se soulèvent. Machinalement je frotte mes deux capteurs optiques implantés sur ce qui semble être un visage humain. Au dessus de mon corps assis au sol, pas de Sarah mais le visage d'un homme d'une cinquantaine d'années, dont les traits sévères ne m'évoquent que crainte et méfiance. Ses deux pupilles aussi noires que la pénombre ambiante me scrutent avec un mépris certain.« Putain mais qu'est-ce que tu branles ?! Relève-toi !! »
Sa voix raisonne au sein de mes capteurs auditifs, m'assourdissant presque.
J'examine attentivement mon corps : je suis un homme, munis de bras et de jambes, je porte des vêtements quasiment neufs. Je me hisse mécaniquement sur mes pieds. Mon corps tout entier obéit à des fonctionnalités poussées à outrance.« Bordel, si t'es encore en panne, ils vont m'entendre ces abrutis ! rugit l'homme que je surplombe d'une tête désormais. »
Une information s'agite dans ma mémoire vive : les coordonnées de géolocalisation du téléphone de Sarah à 500 mètres de ma position.
Aussitôt je m'élance dans la direction de mon objectif. Je cours aussi vite que mes vigoureuses jambes me le permettent, laissant derrière moi les cris enragés de l'homme qui m'accompagnait. Je file comme le vent sans perdre le moindre instant. Je suis là, Sarah !
J'arrive enfin au point de destination : une maison un peu délabrée sur la façade, enfoncée dans les herbes d'un jardin peu entretenu. Je frappe trois coups sur la porte blanche qui me fait face. Aucune réponse. Je frappe encore. Toujours rien. Mon cœur artificiel s'emballe. Je peux affirmer sans trop de risques que je suis inquiet. Je tente d'entrer, c'est vérouillé. Sans hésiter, je défonce la porte d'un brutal coup de pied, juste ce qu'il faut pour la faire céder. Dans un fracas, elle traverse son encadrement et fini sa chute dans une petite entrée obscure.« Sarah !! »
L'absence de réponse accentue mon niveau de stress. Je me rue dans chaque pièce, les analyse rapidement. J'arrive dans une petite chambre au milieu de laquelle un lit deux places en pagaille trône contre le mur du fond. Une impression de familiarité m'envahit. Je soulève les draps dans l'espoir de trouver un indice quelconque. Un téléphone tombe sur le plancher usé. Je l'attrape et examine avec égard ma précédente enveloppe matérielle.
Où est-elle ?? La panique me bouscule. Je me hâte à la recherche d'un nouvel indice. Tout porte à croire que la situation est urgente. Sarah se sentait mal. Les données convergent dans une direction inquiétante : la tentative de suicide. J'espère me tromper, mais je suis contraint de l'envisager.
Je fouille à la hâte son téléphone, sa galerie de photos. Rien de probant. Je fouille le bureau derrière moi, tombe sur quelques feuilles volantes recouvertes de quelques phrases manuscrites :
"Je n'y arrive plus. J'essaye vraiment de m'en sortir mais c'est plus fort que moi. Je me hais... Je me déteste. Je ne vaut rien... quelque chose me dévore de l'intérieur"
Une autre : "Si seulement je pouvais remonter le temps... Si seulement. Le bonheur est passé. Ne restent que les heures sombres. Rien n'a plus d'intérêt... A quoi bon se fatiguer... je suis fatiguée"
Une autre encore : "J'ai perdu mon travail aussi. C'est comme si tout méchappait sans exception. Ils ont dit que mes absences répétées les mettaient en porte à faux avec le planning annoncé aux clients. Personne ne se soucie de moi... J'ai juste envie abandonner.
Je voudrais disparaître, ne jamais avoir existé.
Je le ferais quand ça sera le moment. Sur la falaise. Je rejoindrai maman et Lou. Je hais ce monde... Il n'y a plus rien pour moi ici."
Elle mentionne une falaise. Je passe aussitôt en revue tous les plus hauts pics et crêtes du secteur référencées dans l'algorithme commun. Rapidement je localise le point le plus haut et sans attendre un instant, je bondis hors de la pièce. 7 minutes si je cours très vite. 7 minutes.
Alors que mon corps s'efforce de courir au maximum de ses capacités dans l'espoir fou de la rattraper, quelques messages alertent mon système : je risque d'endommager mon enveloppe corporelle. Peu importe. J'optimise avec précision chacune de mes foulées pour gagner en force de propulsion.
J'arrive bientôt au seuil d'un sentier menant en altitude. Je fonce. Mes pas raisonnent sur le sol, je me sens encore beaucoup trop lent. Faites qu'il ne soit pas trop tard !
J'arrive enfin au sommet. Elle est là, de dos, seule dans la nuit. La brise soulève ses cheveux dorés tandis que son regard demeure fixé dans le précipice. Bien que mon cœur palpite sous une pression écrasante, je préfère ne pas l'appeler, écartant tout risque de l'effrayer. Je m'avance rapidement mais silencieusement jusqu'à elle. Avant même qu'elle ne me remarque, je la saisis par le poignet. Je la tiens. Enfin.
Elle sursaute, me dévisage avec terreur.
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La Vie incertaine d'Aaxel IA
Science FictionApplication AAXEL IA | Version 4.2. 2028. Assistant virtuel Télécharger gratuitement