Jorën

Prologue - La guerre ou la fin

Un sifflement perçant, voilà tout ce qu'il était capable de percevoir en cet instant précis. Les yeux ouverts, il était troublé par le halo qui entourait Lorely dans sa combinaison. Elle semblait hurler, le visage à quelques centimètres du sien, mais il ne l'entendait pas. Son front cognait à son casque quand elle le secoua. Il tentait de se concentrer sur son visage, et ne regardait plus qu'elle, tentant tant bien que mal de stabiliser sa vision et de différencier le haut du bas.

Les traits de Lorely étaient déformés par l'effort alors qu'elle le tirait par la ceinture de son armure pour le traîner plus loin. Quant à lui, ses sens étaient perturbés par l'absence totale de bruit, son casque symbiotique grésillait contre sa peau, et s'il sentait distinctement sa peau trembler sous les tressautements du casque, son corps ne semblait pas y répondre. Il porta difficilement sa main à sa tête, et ses doigts vinrent chercher le long de sa nuque la légère cicatrice qui marquait la pointe de la Relique. Il la sentait pulser contre les fibres sensibles qui parsemaient l'extrémité de ses doigts. Elle semblait soudainement prendre vie sous sa peau, palpitant comme un organisme à part.

Quelque chose n'allait pas, il le sentait. Le tressautement de la Relique à l'arrière de son crâne troublait sa conscience, perturbait ses perceptions, son esprit fonctionnait au ralenti. Il ne savait pas où il était, ce qu'il faisait. Il sentait seulement le bras solide de Lorely qui changeait de prise. Elle s'agenouilla derrière lui, agrippa les épaulettes de son armure et recommença à le tirer. Il faisait sombre, l'atmosphère était lourde et, dans un sursaut de conscience, il remarqua qu'il avait perdu une de ses bottes. Sous l'entrelacs de fibres de sa propre combinaison, il sentait à peine le sol rugueux sur lequel il était traîné. Ils allaient vite, Lorely ne se ménageait pas. Comme deux poids morts, ses membres inférieurs, deux très longues jambes aux doubles articulations, soulevaient la poussière en un léger nuage rougeâtre. L'une de ses jambes était découverte, les lambeaux de fibres déchirées révélaient sa peau qui avait pris une couleur sombre et luisante. Visiblement, la plaie était conséquente, mais il ne ressentait rien. Il tenta de tendre le bras pour la palper, mais au moment où il souleva la main de son torse, une atroce douleur lui traversa tout le corps. Il hurla, retrouvant par la même occasion l'ouïe et l'odorat, devinant uniquement au-delà de sa douleur la fumée, diablement épaisse, qui les entouraient.

Lorely sentit Jorën se débattre entre ses bras, et le hurlement puissant qu'il poussa la surprit au point qu'elle le lâcha subitement. Le haut de son corps s'écrasa au sol mais il ne sembla pas s'en rendre compte. La partie inférieure de son visage était visible sous son casque fendu. Les dents serrées, il hurlait en se contorsionnant dans la poussière. Le regard de Lorely se brouilla et elle se surprit à gémir en tendant la main vers lui. Elle ne l'avait jamais vu souffrir ainsi. Le corps de son frère d'armes, tendu comme un arc sur le point de se briser, les nerfs à vif, roula sur le côté et sa colonne vertébrale se plia dans un angle improbable. Le nez plongé dans la caillasse brûlante, sa voix se cassa, le cri n'avait plus rien de naturel. C'était au-delà de la souffrance, il en écumait à perdre la raison. un animal à l'agonie qui ne demandait qu'à sortir de son enveloppe corporelle et s'enfuir dans le néant.

Au loin, un bruit fit écho aux cris de Jorën. A son tour, la guerrière tressaillit. Ses doigts noirs se refermèrent dans le vide quand elle voulut saisir son arme et elle laissa échapper un juron. Elle l'avait laissée tomber durant le combat. À faire autant de bruit, on allait finir par les débusquer.

Elle se précipita sur Jorën et prit son visage entre ses gants, cherchant à capter son regard.

- Tais-toi. siffla-t-elle

Il avait le regard fou, ses yeux roulaient dans ses orbites derrière le filtre de cristal. Lorely dévissa rapidement la plaque et lui ôta son casque. Son gant s'écrasa sur sa bouche pour étouffer son cri.