La prisonnière

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Je jubilais. On les avait bien eus, il faut dire qu'ils nous avaient facilité la tâche. S'aventurer dans la Forêt Noire, quelle stupide idée ils avaient eu ! Certains courageux aimaient s'y promener, en pensant naïvement que cette jolie ballade ne serait pas leur dernière. Mais cette expédition, aussi magique soit-elle, ne conduisait qu'à une seule et unique destination : la mort. Froide, funeste, et pourtant, amplement méritée.

Ces fous, avides et inconscients, s'enfonçaient dans la Forêt Noire en pensant y trouver mille-et-uns trésors. Ils venaient ici nombreux, depuis près de quatre siècles, avec le souhait de me dérober ma mythique richesse. Après m'avoir tout pris, après m'avoir reniée, emprisonnée, voilà qu'ils continuaient à essayer de voler le peu qu'il me restait.

Qu'avais-je donc fait pour provoquer un tel acharnement, me demanderiez vous ?

Ni plus ni moins que tuer leur roi. Mon mari. Celui qu'on m'avait choisi, celui qui s'était plu à me posséder. Je me rappelle encore de cette triste et lointaine nuit comme si elle s'était déroulée la veille. Dehors, il faisait mauvais, le froid était saisissant, la pluie battait contre les vitres. Mais c'était sans doute de mes yeux que coulait le plus de larmes. Il m'avait utilisé, comme un objet, comme d'habitude. Il m'avait violentée, m'avait souillée, bafouée. J'étais détruite, je n'en pouvais plus et ne pourrais en supporter davantage. Alors, j'ai décidé que tout allait s'arrêter, ce soir. Je n'ai pas utilisé ma magie pour l'endormir éternellement, cette solution aurait été plus prudente, mais point satisfaisante. Mourir en plein sommeil, voilà une fin bien clémente. Cependant, je n'ai jamais été du genre à faire dans la miséricorde. Je ne voulais pas seulement le tuer, je voulais le détruire, et par dessus tout, je voulais que ce geste vienne de mes propres mains. Je voulais le faire souffrir, lui faire ressentir ce qu'il m'inspirait. Je voulais lui rendre cet amour qu'il revendiquait sans cesse, qu'il prenait comme excuse à chacun de ses péchés, à chacune de mes souffrances. Je voulais le blesser, au plus profond de lui, de sa toute petite et affreuse personne qui m'avait trop longtemps soumise, effacée. Je voulais me libérer, vivre à nouveau, sentir mon cœur battre à plein régime. Alors pour cela, j'ai choisi de lui arracher le sien. Mes ongles ont transpercé sa chair, mes doigts se sont enfoncés dans son thorax, et dans ma main, j'ai pris son cœur et lui ai retiré. Je l'ai regardé dans les yeux et j'ai resserré ma poigne autour de son organe frémissant, jusqu'à ce qu'il n'en reste que poussière.

Son regard, terrifié, implorant et agonisant, hante encore mes nuits, plus de trois cents ans plus tard. Malgré cela, jamais je n'ai regretté mon geste.

Contrairement à ceux que j'ai abattus après ça, lui, l'avait entièrement mérité.

Ce que je regrette en revanche, c'est de ne pas avoir déserté les lieux la nuit même. Si je l'avais fait, si je m'étais enfui, si les gardiens ne m'avaient pas attrapée alors que je bouclais ma dernière valise, le mythe de la Méchante Reine n'aurait été nourri que de la mort d'un Roi, et pas du trépas de centaines d'innocents qui continuait à l'alimenter encore aujourd'hui.

Ma punition avait été décidée en quelques heures à peine, le peuple n'avait eu aucun souci à me condamner. Je serai exécutée, d'une flèche en plein cœur, et si cela ne suffisait pas à éteindre ma magie, je serai brûlée vive par-dessus le marché. Je n'acceptais pas ce sort qui m'était pourtant inévitable. J'avais trop soif de vivre pour m'abandonner ainsi aux enfers.

Alors, c'est là que j'ai commis ma plus belle erreur : conclure un marché avec la Bête. Ce monstre, aussi vilain qu'il était malin, n'avait pris guère longtemps à me rejoindre dans ma cellule. Son air sournois et dégoûtant m'avait d'abord rebuté, mais ses paroles si bien tournées avaient eu raison de moi. J'avais accepté toutes ses conditions sans sourciller.

La prisonnièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant