« La souffrance est salutaire »
C'est la phrase qui résonnait en boucle dans la tête d'Ada.
Pour tenter d'oublier les maux qu'ils vivent, certains s'accrochent à une addiction, d'autres à des souvenirs heureux. Pour elle, c'était ces mots. Ce mantra mensonger qui lui permettais de tenir, en équilibre au bord du gouffre. Elle l'avait lu quelques années auparavant dans les premières pages d'un livre et à présent, c'était la seule phrase dont elle se rappelait. Parce que ça lui avait toujours semblé salvateur et utopique en lui promettant une issue.
À 28 ans, la jeune fille paraissait déjà fatiguée de la vie. Elle avait les yeux remplis en permanence de désespoir et le corps qui menaçait de s'écrouler. Elle avait aussi l'amour.
Ada avait rencontré Christian à ses 17 ans et depuis, malgré les tribulations qu'il lui avait fait subir, n'avais perdu aucune once de l'amour qu'elle lui portait depuis son adolescence. C'était ce qui la rendait aussi malheureuse.
Elle avait supporté plusieurs choses de sa part. Oui il fallait supporter parce qu'elle était une femme et parce que sa défunte mère lui avait appris que le mariage était fait de batailles, qu'on devait rester, toujours. Et puis il fallait respecter la promesse du mariage : « Être là dans les meilleurs moments comme dans les pires ». Sauf que le pire ne cessait de perdurer. Christian ne se gênait aucunement pour poser des actes qui pouvaient péricliter son mariage. C'était l'archétype parfait de l'homme toxique qui rendait la vie impossible à sa femme. Seulement lui, ne lui faisait pas subir des violences physiques. C'était pire. Il buvait du petit lait en lui rappelant quand elle se plaignait, qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfant et que d'ailleurs elle devait se taire parce qu'elle était « une femme incomplète ». C'était exactement les mots qu'il répétait. Après, il s'en allait, laissant Ada verser des larmes, demander au ciel pourquoi elle devait subir tout cela et à la fin, se rappeler de son mantra: la souffrance est salutaire.
Inlassablement, Ada avait passé ses nuits à espérer que son mari redevienne comme avant, sage et n'ayant d'yeux que pour elle.
Elle avait sillonné là moitié des églises de la ville en quête de réconfort et d'espérance de changement. Pendant ces dernières années, elle s'éteignait petit à petit en essayant de rallumer la flamme de l'amour qui les avaient drogué de bonheur auparavant. Mais Christian ne s'arrêtait jamais. Il ne cessait de chicaner et elle, ne cessait d'espérer. À en pleurer. Et quelque fois, quand la douleur était trop, elle soliloquait dans la chambre, les draps humidifiés par ses larmes et le cœur qui menaçait d'imploser.
Peut-être qu'elle souffrait beaucoup des actes de son mari, mais elle souffrait encore plus de l'amour viscéral qu'elle lui portait, malgré tout.