Le Capitane a pris le large hier après-midi, avant l'orage. Les Moussaillons, toujours fidèles, pleuraient autour du Capitaine, un évènement tragique était arrivé. En effet son bras droit, son meilleur ami, son confident, sa moitié, s'est vu emporté par les vagues, déferlant leur rage accumulée par les larmes marines.
Le Capitaine se sent vide, on a essayé pourtant, avec tous les matelots, de chanter, de rigoler, mais rien ni fait lorsque le vide vous possède, vous englouti dans les abysses. Rien n'est plus affreux à vivre qu'une douleur aussi vivace qu'une perte. Le voir sur la barre, donner des ordres pour divaguer, aller loin d'ici sans boussole, rien que pour partir de la mer qui a englouti son envie de vivre, comme une envie de couler aussi.
Alors on se coule, le grog serre nos gorges déjà noués de chagrin, on se détruit pour être proche de l'être perdu, on se blesse pour tenter de ressentir une dernière fois celui qui était là auparavant, entre nous tous, au centre de nos cœurs coulant le sang de nos larmes.
Cependant le Capitaine reste fier, il sait comment survivre sans cœur, il sait comment survivre avec une plaie béante à l'intérieur de lui, il le sait... et pourtant. Sa tête n'est peut-être pas bien haute, mais sa volonté de vivre reste. Il est le premier à nous dire de ne pas pleurer, qu'il faut plutôt avancer contre les vagues impitoyables, car le monde est fait ainsi. D'un jour à l'autre, tout finit par s'éteindre telle une flamme sous la pluie. Personne, aucun d'entre nous ne peut comprendre la guerre à l'intérieur de lui. Il a parfaitement conscience de là où il se rend, et pourtant il reste muet face à ses camarades. Il ne peut plus parler ; sa gorge est meurtrie par trop de remords, sa tête est fracturée par des envies et des pulsions. Il n'attend plus la fortune, il ne veut qu'atteindre une rédemption.
Le Capitane, d'aussi longtemps que je le connais, ne dérive jamais en mer ; reste à voir s'il est capable de dériver dans la folie. Ce n'est pas le seul à être à cœur ouvert, c'est bien tout l'équipage, et une bougie s'éteint en sa mémoire, en la mémoire d'une proximité brûlante.
La nuit commence à tomber, je voulais arrêter de griffonner les pages de mon carnet, mais c'est plus fort que moi, les pages m'appellent. En entrant dans ma cabine, j'ai recroisé des souvenirs du passé. Des décorations, des vestiges de quelqu'un qui n'est plu. La pluie s'abat subitement sur le pont. Il faut que je remonte vite, les autres ont besoin de moi. Et puis... tous les matelots sont là, ils sont tous là pour chasser les mauvaises pensées de celui qui nous mènent à bon port.
On va laisser le monde s'assoupir dans la nuit, on va laisser la pluie s'effondrer sur notre bateau, notre famille. Si les nuages se grisent, c'est que le Capitaine s'engouffre dans une peine immense. J'espère que quelqu'un lui tient la main.
Jour 2 : Journal de bord. 19/04/2022
Je crois que le Capitaine n'a pas dormi de la nuit... Dans son état mental, il n'arrive pas à endurer le silence des vagues qui caresse notre bateau. Il siffle des complaintes mortifères pour ne pas oublier, que cela fait déjà un jour que son bras droit a été retrouvé, mort, changé, aspiré par les profondeurs aquatiques. Je crois que le Capitaine tombe malade... Dans son état physique, la toux l'emporte sur ses paroles. L'eau de mer fusionne avec l'eau de pluie de ses nuages de peines.Aujourd'hui, le vent souffle sur nos voiles, ce n'est pas signe d'espoir pour autant, car autant le vent nous porte, la maladie elle, nous emportera tous. Même si le Capitaine fait de son mieux pour fuir les mers dévoreuses, ce n'est pas pour autant qu'il est sûr d'arriver à destination. Faire de son mieux parfois, ne suffit pas, et l'on se sent comme dépossédé de toute chose, comme si tous nos efforts ne brassaient qu'un peu de vent, rien de plus qu'une légèreté de ce vent.
Je le vois depuis mon poste, il a posé la barre dans un axe précis, l'angle ne change pas. Je le vois ici, assis. Son Perroquet n'est pas là, il se balade aussi pour trouver refuge dans la brume de l'agonie qui se forme autour de notre équipage. Il essaye de refaire l'histoire avec des mots, des Si, mais il finit par s'abstenir de parler, la douleur est si grande que même les paroles veulent rester au fond de la mer, tout comme les mots. Il titube un peu plus qu'hier sur le pont, il va voir un des matelots aujourd'hui, il a vraiment besoin de réconfort mais être tous réunis, c'est montrer qu'il manque quelqu'un à l'appel, alors autant s'isoler en petit groupe, jusqu'à ce qu'il aille mieux, du moins, qu'il supporte plus le poids du changement.
Et dire qu'il n'y a rien à faire, hormis attendre que le temps panse les plaies de tout le monde, essayons de ne pas se faire ronger par la maladie, même si le Capitaine veut se laisser dériver. Il cherche encore son fantôme la nuit mais... comment devenir un vrai Homme s'il on cherche les spectres du passé ? Comment être courageux si le cœur en tremble d'avance ? Il était pourtant si près de le sauver, et ses conseils lui manquent...
Je pense sans rire, sans dire des mots de travers, que le Capitaine l'aimait jusqu'à l'œdème. La folie de l'amour pour quelqu'un ne cesse jamais, c'est comme s'être fusionné avec l'autre, dès que notre second s'arrache à nous pour plonger dans la noirceur de l'encre de ses mots, cela déchire autant mes pages que mon cœur, que le sien, que chaque personne aimant le Capitaine.
Maintenant que tout le monde le regarde, il ne cherche pas à exhiber ses cicatrices mais sa peau cri au secours d'autrui, car le regard répare et efface les traces de peines et de haine du passé. Tout ce que veut le Capitaine, c'est de remonter le temps, prendre sa montre à gousset, reculer l'heure du monde, les jours, les mois, les années...
Sa peur est si grande qu'il ne sait même plus qu'il tremble, il ne tangue pas.Jour 3 : Journal de bord. 20/04/2022
Troisième jour en mer, le Capitaine nous a fait s'arrêter sur une petite île sauvage non répertorié sur la carte des marins. Au départ, toute l'équipage craignait de descendre, on ne sait jamais ce que l'on peut trouver dans ce genre d'endroits. Il se trouve qu'un homme vivait ici, selon notre Capitaine, c'était un de ses frères. Cela faisait très longtemps qu'ils ne s'étaient pas rendu visite. Ils discutèrent sur la plage, devant le lever du soleil tandis que nous, nous sommes restés au bateau pour s'occuper de le rafistoler si besoin. Je les observais de temps à autre, le Capitaine semble toujours autant au fond de l'eau, et pourtant il tient encore sur ses deux jambes. Le frère du Capitaine le ressemble énormément, ils se complètent bien dans un sens. Rien qu'avec ma vue, j'arrive à distinguer que son frère est plus sanguin, colérique, tempérant. De l'autre côté, quelqu'un de plus sage, plus calme, plus naïf. C'est comme s'ils se regardaient dans le reflet des vagues, la mer leur révèle le fait qu'ils sont les mêmes, ce n'est qu'un penchant plus développé chez l'autre. Son frère lui servit quelque chose à boire, c'est alors que j'écria à tous les matelots, « Santé ! » Toutes les choppes se remplissaient à vue d'œil, tant que cette dernière ne devenaient pas trouble. Les pintes s'entrechoquaient et les chants marins reprirent leur place au sein du navire. Pendant un instant, on aurait presque pu dire que la situation s'améliore.
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Au bord de l'eau.
SpiritualImage par @_Margo.fantasy_ Un jour nouveau est née d'une brise accablante, poussant dans un torrent un équipage de marins tous malade et îvre de vivre cette vie. Dans le lot, un Capitaine s'est dessiné par ses cicatrices et est devenu l'homme qui éc...