XIX

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*Ce que nous faisons de la rage*

Ils avaient retiré leurs chaussures pour marcher sur le sable froid. On ne pouvait voir les étoiles que du côté de la mer, la lumière les cachait du côté de la ville.

Cela faisait maintenant presque une heure qu'ils marchaient sans rien se dire. Loki appréciait simplement la compagnie d'Anaon, il savait que le jour n'était plus qu'à de petites heures. Anaon elle, essayait de comprendre ce qui lui échappait tout en appréciait cette balade.

-Je ne vais pas souvent sur cette plage, finit par dire Anaon, elle est plutôt destinée aux surfers. Mais j'avais oublié comment il était agréable de s'y promener la nuit. Ça vous remet les idées en place. Si j'ai un conseil à vous donner, nouveau voisin, c'est de vous promener ici le soir.

-Je n'y manquerai pas.

Anaon proposa ensuite de s'asseoir sur le sable, ce qu'ils firent. Un léger vent leur tenait compagnie. Anaon regardait la mer, Loki l'admirait du coin de l'œil.

-Votre amie pour qui vous êtes venu ici, comment est-elle ?

Loki sentit que le ton d'Anaon avait changé. Il ne savait pas pourquoi, sa voix était un peu triste. Cette voix-là, il la reconnaissait.

Il essaya de trouver quoi dire. Des images d'Anaon lui revinrent. Anaon aggressive qui avait envie de le tuer, Anaon sous Euphorie, Anaon qui tuait et se tuait, Anaon qui admirait un paysage, Anaon trahie, perdue, pleurante, mourrante. Des images qui le faisait sourire mais aussi souffrir.

-Elle n'est pas quelqu'un de facile, elle est violente et parfois sans pitié, parce qu'on a été sans pitié avec elle. Mais jamais quelqu'un n'avait été aussi clément avec moi. Elle est courageuse et elle sait comment aimer. Elle mérite tellement plus que ce qui lui est arrivé, tellement plus, et moi je suis impuissant. J'aimerais qu'elle est plus de temps, j'aimerais tout lui donner, la sauver...

Anaon ne s'attendait pas à voir Loki devenir émotif. Elle ne le comprenait pas vraiment. Voyant sa peine, elle chercha à le consoler :

-Eh bien... Maintenant que vous êtes là, vous pouvez faire ça, non ?

Loki releva la tête, les yeux grands ouverts.

-C'est vrai, c'est vrai, vous avez raison ! Rien ne m'oblige à partir et à faire ce que je dois faire. Je pourrais rester ici, pour toujours s'il le faut. Avec elle. Et jamais rien de mal ne lui arrivera. Je pourrais même trouver un moyen de la ramener à Asgard, de lui faire voir l'univers avec un vaisseau !

Anaon éclata de rire, Loki avait l'air d'un fou à parler comme ça de voyager dans l'espace comme s'il le pouvait vraiment.

-Ça, ce n'est pas possible.

L'enthousiasme de Loki se stoppa net. Il avait l'impression d'entendre sa Anaon. Ce n'est pas possible de faire ça, de briser ce qui doit advenir, ce qui s'est déjà passé. Et s'il restait ici, qu'est-ce qu'il lui assure qu'Anaon l'accepterait à ses côtés ? Et ce qu'ils avaient vécu n'aura jamais existé, mais est-ce qu'il s'en souviendra ou est-ce que ça s'effacera de sa mémoire ? Avait-il seulement envie de se souvenir ? Parce que ça lui faisait vraiment, vraiment mal de se souvenir de sa mort. Il perdit son sourire.

-Pourquoi ?

-C'est un conte de fées.

Anaon se frotta les mains, il commençait à faire froid. Elle ne se rendait pas compte de l'effet de ses paroles sur Loki.

Lui, il se rendit compte. S'il restait ici, cela voudrait dire qu'il y aurait deux Lokis. Lui, et celui des temps normaux, celui qui ira envahir New-York. S'il revenait à Asgard avec Anaon, il se croiserait lui-même, et Odin sait ce qu'il se passerait. S'il restait ici, ils devraient vivre en perpétuel fuite. Il y aurait de toute façon, deux Loki dans cette dimension, quelles en seraient les conséquences ? C'était un gros risque qui pourrait faire s'effondrer cette dimension.

-J'aimerais qu'un jour quelqu'un tienne à moi autant que vous tenez à elle.

Anaon venait d'interrompre les pensées de Loki. Il la regarda, elle qui comptait plus que tout, elle qu'il aimait sans pouvoir encore lui dire. Elle qui était son tout, la seule à ses côtés, malgré tout ce qu'il avait fait, malgré sa noirceur. Alors il lui souffla d'un air tendre :

-Je suis sûr que ça vous arrivera.

Mais Anaon secoua la tête.

-Non, vous ne comprenez pas. Je ne suis pas vraiment quelqu'un de très bien. La gym, ça me prend tout mon temps, toutes mes pensées. Je prends les gens je les jette, et je recommence. Je sais que ça leur fait du mal, mais c'est comme ça, je ne peux faire autrement. Au fond, je n'ai que ma mère et la gym. Et la gym, tiens. Pour arriver à mon niveau, pour être championne, il faut de la colère, de la rage. Pas de victoire sans rage de vaincre. Je ne sais pas d'où vient cette rage, mais elle est là. Parfois j'ai l'impression que c'est tout ce que je peux ressentir avec autant d'intensité. Je ne sais pas ce que je serais sans elle.

Alors la rage qu'avait Anaon contre lui, contre tous, était déjà présente sous une autre forme avant. La jeune femme que Loki avait devant lui n'était pas si différente de celle qu'il connaissait. La solitude l'accompagnait aussi bien avant. Comme quoi, on ne change pas complètement. Soit on devient plus soi-même, soit on l'est moins. Mais personne ne change complètement. Même pas lui, le dieu de l'espieglerie.

Lui aussi, il avait toujours eu une rage. Rage contre son frère, son père, contre son destin, ses origines, l'univers. Mais cette rage s'était calmée avec Anaon.

Anaon se sentit soudain stupide de s'être ouverte à un presque inconnu. D'habitude, elle n'était pas du genre à se plaindre. Elle se disait qu'elle n'avait pas le droit. Sa mère avait beaucoup sacrifié pour elle. Et elle réussissait, elle avait une belle carrière devant elle, ce n'était pas juste pour ceux qui échouaient de se plaindre.

-Ah, soupira t-elle, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça. C'est une belle nuit, je ne veux pas la gâcher.

Loki ne tint pas compte de ce qu'elle venait de dire et s'ouvrit à son tour :

-J'étais comme vous, j'avais cette rage en moi, j'avais l'impression qu'elle était ma force, mais la force ne se contrôle pas et elle a détruit ceux que j'aimais. Tout comme vous. Et tout comme moi, elle s'apaisera un jour.

Anaon fut un peu étonnée par les mots de Loki. Non seulement parce qu'il parlait comme si il la connaissait intimement, mais parce qu'il semblait si sûr de lui.

-Pourquoi vous parlez toujours au futur ? Comme si vous saviez ce qu'il allait se passer, mais vous ne pouvez pas le savoir, personne ne le peut.

Loki ne pouvait rien dire, mais il lui fit un tel regard qu'Anaon en fut troublé. Un regard qui disait qu'il savait très bien ce qui allait se passer, un regard qui disait "je te connais".

C'était étrange. D'habitude, Anaon ne s'epenchait pas trop sur ses sentiments, elle restait réservée sur sa vie personnelle. C'était pragmatique. On lui demandait rien, elle ne disait rien, on n'attendait d'elle que des résultats. Et puis elle restait toujours prudente, elle ne devait rien dire qui pourrait entacher sa réputation naissante. Mais là, quelqu'un lui demandait, quelqu'un écoutait. Et elle se sentait étrangement en confiance avec lui.

Alors elle repensa aux mots du barman qui lui avait dit que Loki la cherchait, aux mots de Loki qui disait qu'il était venue pour une amie. Anaon sentait que quelque chose lui échappait, quelque chose d'important.

La plage s'était vidée, il n'y avait personne autour d'eux. Anaon ne se sentait plus en sécurité.

-Si on allait chez moi ? Je commence à vraiment avoir froid.

Elle ne voulait pas que Loki lui échappe. Il semblait en savoir beaucoup, beaucoup plus que ce qu'il disait. Et chez elle, elle savait où étaient les couteaux pour se protéger. Ici, sur cette plage, il n'y avait rien ni personne, que l'infini.

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From Loki, With Love (Loki Série/Terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant