V E R M E L H O*Ploc, ploc, ploc.
L'humidité règne en maître à l'intérieur de ce petit espace qui est le mien depuis maintenant quelques semaines. Dans ce silence pesant, je compte chacune des gouttes qui s'écoulent du plafond recouvert de moisissures.
Toutes les soixante-six gouttes, elle revient. Cette douleur.
La suivante est proche et je pressens déjà la violence et la force avec laquelle elle va me happer. Comme celles qui l'ont précédée, elle se propagera rapidement et irradiera jusque dans mes lombaires.
Je la crains, je voudrais l'éviter et pourtant je sais que cette souffrance est inévitable, mais surtout nécessaire. Alors j'expire l'air que contient mes poumons et me concentre sur chaque inspiration qui les gonfle de nouveau.
Il est primordial que je reste silencieuse, feindre que rien ne diffère des derniers jours, ou bien ils me la prendront. Ils me l'arracheront sans une once de compassion.
Lorsque la douleur s'éveille de nouveau, je me ressaisis et oblige mon corps à fournir un dernier effort. À quatre pattes sur le sol, je mords avec force la peau de mon avant-bras pour étouffer mon cri. Je serre si fort que le goût du fer vient rapidement se faufiler sur ma langue et la larme qui roule sur ma joue s'écrase juste à côté de mes doigts, crispés sur ce béton froid.
L'odeur de l'hémoglobine se loge dans mes narines, à l'instant même où un liquide chaud s'écoule le long de mes cuisses. Je tremble, et mords toujours plus fort pour contenir le hurlement qui voudrait fuir mes lèvres.
Ma souffrance est à son paroxysme, ma peau se déchire, mon corps s'ouvre et la vie s'en échappe. Toujours en silence alors que je meurs de l'intérieur, déchirée, vidée, épuisée.
Je ne retiens pas un sanglot lorsque je remarque que la mare de sang dans laquelle trempe mes genoux écorchés, s'étend tout autour de moi.
Est-ce le mien ou le sien ?
J'ai à peine le temps de m'y attarder que je me redresse pour la récupérer entre mes mains souillées. La vie.
Le soulagement me gagne. Elle est la récompense de tous mes efforts, l'unique raison qui mérite la souffrance que je viens d'endurer.
Je tiens dans mes bras ce petit être frêle, et mes yeux se posent sur elle. Mon corps entier se soustrait de sa douleur, mais mon cœur lui, se remplit d'espoir, et par-dessus tout, d'un amour incommensurable.
La réalité me rattrape quand l'inquiétude me gagne. Elle est silencieuse, plus qu'elle ne le devrait, et sa peau prend une teinte bleutée qui me prouve que quelque chose ne tourne pas rond. L'instinct dicte mes gestes et je crochète le cordon qui entoure son cou pour dégager ses voies respiratoires.
C'est à ce moment précis que j'entends son cri pour la toute première fois. Un shot de bonheur qui emplit l'entièreté de mon âme.
Elle est si belle, si innocente, et si fragile.
La vie.
Quelques secondes. Voilà ce que l'on m'accorde pour profiter d'elle, quelques secondes avant que la porte ne s'ouvre avec fracas.
Un homme entre dans la cellule et une paire de mains puissantes m'arrache mon enfant des bras. Sans aucune hésitation, il tranche d'un geste net ce lien qui nous liait elle et moi, durant ces neuf mois à ne faire qu'un.
Je hurle, je me débats et l'adrénaline m'aide à trouver la force de me relever pour la récupérer. Mon bébé.
Mais mon effort est vain puisque les chaînes qui me retiennent aux chevilles m'empêchent d'aller plus loin. Je glisse et m'affale avec brutalité par terre, à même le sang qui peint le sol de la cellule. C'est le bruit de ses talons qui claquent contre le béton qui me fait redresser la tête, effrayée.
Elle arrive. Et avec elle la panique.
Elle va me la prendre.
Alors cette fois, rien ne me retient, ni la peur, ni l'angoisse, ni la douleur. Je hurle pour qu'on me la rende, elle est à moi.
Elle est mon sang, mon cœur, mon enfant.
Impuissante, j'assiste malgré moi à la scène la plus déchirante qu'il m'ait été donné de voir. L'homme dépose ma petite fille dans ses bras, tandis qu'elle s'empresse de la recouvrir d'une couverture rouge. Je sens les morceaux de mon cœur se fissurer un à un, me rapprochant un peu plus de la mort.
— Merci pour ce magnifique cadeau Milena, fais-moi confiance, je prendrais bien soin de Veronica.
Ses mots m'entaillent, ils percutent si fort mon être que je crains de ne jamais pouvoir me relever.
Sans attendre de réponse de ma part, elle fait volte face et fuit mon regard. Mes cris, mes suppliques et mes pleurs ne l'empêchent pas de prononcer d'un ton autoritaire :
— Tuez-la.
Je m'effondre, pourtant ce n'est pas la souffrance physique qui m'empêche de tenir debout, c'est celle de mon âme tout entière.
Si je craignais que les douleurs corporelles ne portent atteinte à ma vie, j'avais tort. Ce que je ressens maintenant est bien pire, parce que la blessure intérieure est meurtrière. Elle m'assassine.
Je relève les yeux et croise une ultime fois le regard de mon enfant, belle, pure et innocente.
— Pardonne-moi, murmuré-je, juste avant que la mort ne m'emporte avec elle.
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* Vermelho : Rouge en portugais.
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VERMELHO [PREQUEL ET SPIN OFF DE LSELM]
RomanceElle est trafiquante d'arme. Il est tueur à gage. Sa prochaine mission ? Veronica Ribeiro, plus grande trafiquante d'arme du Brésil. Résumé in progress....