L'orage faisait rage dehors. Le tonnerre grondait et le vent faisait trembler la charpente de la taverne.
Déjà que les affaires étaient au plus mal pour Boïsdon, ce n'était pas la météo qui l'arrangeait. Seuls trois clients avaient pointé le bout de leur nez en une semaine. Si cela continuait, il devrait bientôt mettre la clef sur la porte.
« Tout cela à cause de ces satanés sorciers et leurs stupides inventions !» Pensait-il.
Depuis la création des routes intelligentes, les voies commerciales s'étaient concentrées autour des grands axes. Les petits villages tel que Merton, où se situe la taverne de Boïsdon, avaient vu leur nombre de visiteurs chuter, à un point tel que la moitié de la population avait quitté les lieux par manque de travail.Le vagabond assis au bar tira notre tavernier hors de ses pensées, il semblait un peu agité, très certainement à cause des nombreuses choppes de cervoise qu'il venait de s'enfiler.
Mais Boïsdon n'en était plus à son coup d'essai. Plus grand que la plupart des gens, il avait de larges épaules et un torse évoquant un tonneau cerclé de fer. Sa barbe brune et broussailleuse cachait les cicatrices de ses nombreux combats passés. Même s'il n'avait plus la forme de sa jeunesse, sa carrure laissait présager une mauvaise expérience pour ceux qui viendraient à le contrarier dans sa taverne.Soudain, la porte de la taverne s'ouvrît brusquement, un torrent d'eau se déversa dans la pièce, puis la silhouette d'un homme se dessina. Il était vêtu d'une longue cape dont l'extérieur était noire et l'intérieur rouge. Elle descendait le long de son corps, en partant de sa tête recouverte par une capuche cachant son visage jusqu'à ses bottes tachetées de boue. En dessous de sa cape l'homme portait une veste en cuir noir et un pantalon en toile qui semblaient tout deux usés par les voyages.
Il s'avança lentement vers le comptoir où il déposa une bourse remplie de deniers. Boïsdon remarqua que ces derniers n'étaient pas encore vivifiés, aucun sceau ne figurait sur cette bourse. Ce voyageur devait venir de très loin, rares étaient les personnes à encore utiliser cette ancienne monnaie.
« Je ne peux pas accepter cet argent, voyageur. Il m'est impossible de me rendre à Ayrith pour les faire enchanter comme le veut la loi. » dit Boïsdon.
« Vous devriez donc garder cet argent pour plus tard. » répondit simplement le voyageur en se dirigeant vers les chambres.
Cela ne plu pas le moins du monde à Boïsdon, il ne pouvait rien faire de cet argent, il s'élança pour le rattraper.
Surprenamment, le vagabond ivre fut plus rapide. Il se rua sur l'homme en hurlant: « Tout le monde doit payer ici ! Si je paye, tu payes ! »
Malheureusement pour lui, le voyageur était vif, il esquiva sans difficulté cette attaque dont la précision laissait à désirer.
Le vagabond s'étala par terre, et se cogna sur le bord d'une table, l'assommant sur le coup.
Cependant, l'attaque laissa entrevoir pendant quelques instants, sous la cape de l'étranger, une dague pourpre, aux lueurs blafardes, sur laquelle brillait un ancien caractère qui ressemblait à un « V ».
Boïsdon reconnut immédiatement l'origine de ce symbole, de l'ancien Naric, c'était l'emblème des oubliés, ceux dont l'âme avait été volé.
L'étranger resta immobile devant le tavernier stupéfié, le scruta du regard. Il savait qu'il avait vu sa lame, il en était convaincu. La tension monta rapidement dans la pièce, Boïsdon n'osait plus bouger, des gouttes de sueurs perlaient sur son front.
Ce fut l'étranger qui brisa finalement le silence.« Ordo XVII erit cadere »
« L'ordre des 17 tombera ». Ces mots lui glacèrent le sang et raisonnèrent dans sa tête comme un appel du passé.
« Ordo XVII erit cadere » répéta après un long silence Boïsdon.