Chapitre 1 - Dante

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Été 1996 dans un village occitan, non loin de Toulouse, en France.

Juin 1996

Je m'appelle Dante Verliebt, et cet été, je fêterai mes dix-huit ans ainsi que mon dix-huitième été dans ce petit village occitan cher au cœur de mes parents. Il a vu ma mère grandir ainsi que toute sa famille depuis plusieurs générations. J'y passe chaque année trois merveilleux mois, entouré de ceux que j'aime. Depuis la mort du dernier locateur, mon grand-père, décédé quelques semaines avant ma naissance, nous avons toujours passé la période estivale dans cette maison datant du quinzième siècle et construite dans le pur style Renaissance, ce que personnellement, j'adore. J'ai toujours considéré cette maison comme mon véritable chez-moi.

Nous sommes une famille franco-allemande qui est passionnée de lecture, et cela se ressent dans toutes nos demeures qui sont toutes remplies, sans exception, de livres du sol au plafond. Il y en a partout, aussi bien sur les marches des escaliers que sur le rebord des fenêtres, ou encore dans la cuisine, ce qui a le don de rendre nos gouvernantes, Maria et Augustine, totalement folles. Notre petite famille se compose d'un père, Luzian Verliebt, représentant la partie allemande de nos origines, d'une mère, Éléonore Verliebt, représentant la part française, et d'un petit frère âgé de quatre ans qui n'est pas encore plus haut que trois pommes. Une petite surprise pour mes parents à l'aube de leur quarantième anniversaire : Roméo Verliebt.

Mes géniteurs ont beaucoup d'humour quand il s'agit de choisir le prénom de leurs enfants. Heureusement, ils sont des amoureux transis de Roméo et Juliette et de La Divine Comédie, sinon, Dieu seul sait quels auraient été nos prénoms. Peut-être Othello ou encore Hamlet... Personnellement, je trouve que je ne m'en sors pas trop mal.

Si mes étés d'enfance étaient calmes et ressourçants, depuis quelques années, cela n'est plus vraiment le cas. Mes parents, tous deux professeurs d'université, l'un en histoire italienne et l'autre en littérature anglaise, ont décidé d'accueillir chaque été des groupes de jeunes venant du monde entier. Depuis, mes étés n'ont plus rien eu de reposant. La maison est toujours remplie de personnes, mais aussi et surtout de bruit. Entre les cours d'histoire, de littérature, mais aussi de langue que dispensent mes parents aux invités, et les allers-retours pour visiter les environs, se retrouver seul est parfois mission impossible. Au début, j'étais totalement opposé à cette idée, mais je m'y suis habitué, et je peux même dire maintenant que je trouve ça plutôt sympa. Du moment qu'ils sont respectueux, je n'ai aucune objection à leur venue.

***

Nous sommes début juin, donc le premier groupe de cet été devrait arriver dans quelques jours. Ils viennent tout droit du sud de l'Italie, de la Sicile. Cependant, je ne les verrai pas avant quelques semaines, car j'ai enfin obtenu l'autorisation de passer quelques semaines avec des amis du coin, que je me suis faits ici au fil des années.

- Dante pourquoi je ne peux pas venir avec toi ? se lamente Roméo depuis mon bureau, où il est assis, un livre entre les mains.

Il a beau n'avoir que quatre ans, à force de nous voir lire à longueur de journée, il a voulu que je lui apprenne. C'était juste après les fêtes de fin d'année, et depuis, comme mes parents et moi, il a toujours un livre entre les mains.

- Car tu vas chez tante Bella pour passer quelques semaines avec Sergei, dis-je en lui souriant.

Sachant qu'il a beau ronchonner, il adore notre tante, la sœur de notre père, ainsi que notre cousin d'un an son aîné, tout autant que moi.

- Je peux emmener des livres avec moi ? me demande-t-il en refermant celui qu'il a dans les mains.

- Bien sûr, mais tante a aussi beaucoup de livres chez elle. Bon, sûrement pas autant que nous, mais tu auras largement de quoi pour tenir quelques semaines, j'ajoute devant sa mine peu convaincue.

- Je t'aime mon frère.

- Je t'aime aussi bébé. Mais maintenant, va préparer ton sac, sinon tu vas nous mettre en retard.

- D'accord, souffle-t-il en descendant du bureau avant de courir jusqu'à sa chambre, quelques portes plus loin dans le couloir.

Normalement, nous avons cet étage rien que pour nous seulement le mois de juin. Car passé le trente et un, les Australiens et les Américains débarquent, et je dois dès lors partager ma chambre avec l'un d'eux. Et même si ce n'est qu'une seule personne, cela change radicalement l'ambiance de notre étage. En particulier pour mon frère, qui ne peut plus débarquer dans ma chambre comme bon lui semble et crapahuter partout comme un petit chat. Surtout sur mon bureau, qui sert généralement à notre visiteur pour qu'il puisse travailler sur ce que mes parents lui donnent comme devoirs.

- Mes bébés ? vous descendez, ça va être l'heure de partir, nous crie notre mère depuis le rez-de-chaussée.

- Oui maman, lui répondons-nous en chœur, la faisant rire.

Quelques minutes plus tard, je suis assis dans la voiture de mes parents, mon sac de voyage chargé dans le coffre, à côté de celui de mon petit frère.

- C'est parti ! s'exclame joyeusement mon père en démarrant la voiture.

Il ne nous faut pas plus de dix minutes pour arriver à notre point de rendez-vous, où m'attendent déjà tous mes amis, Baptiste, Aurélien, Raphaël ainsi que la belle Perle qui est tout sourire en me voyant. Et il y a aussi Tante Bella et Sergei, ce dernier jouant avec l'eau de la fontaine.

- Ah, vous voilà ! Je commençais à m'inquiéter de ne pas vous voir arriver, rouspète tante Bella en venant à notre rencontre.

- Les garçons ont mis plus de temps que prévu à faire leurs sacs, en particulier un, lui répond ma mère en jetant un petit regard en direction de mon frère, nous faisant tous rire.

Après avoir fait la bise à toute ma famille, je pars rejoindre mes amis qui sont à côté de la voiture de Baptiste, le seul d'entre nous qui a le permis étant le seul majeur, ayant un an de plus que nous autres. Je mets mon sac dans le coffre de sa voiture qui est déjà pratiquement plein, puis leur fais une bise à chacun.

- Tes parents n'ont pas été faciles à convaincre, me dit Batiste en me donnant une tape dans le dos.

- C'est clair ! dis-je en rigolant en sentant le regard de Perle, que je connais si bien, fixé sur moi.

Perle est la première fille que j'ai embrassée, l'été de nos douze ans. Puis la première, et unique, fille avec qui j'ai couché. Mais ça, ce n'est arrivé que l'hiver dernier, quand nous sommes venus célébrer les fêtes de fin d'année avec ma tante et Sergei, afin de les soutenir dans ce premier Noël sans mon onkel Fabian, décédé seulement un mois plus tôt d'une crise cardiaque alors qu'il réparait une table dans leur grange. Il m'arrive de me demander si j'aurais couché avec elle si l'ambiance à la maison n'avait pas été aussi triste. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi bon nombre de gars en font tout un plat, Baptiste et Aurélien y compris. Sans trouver cela nul, je n'ai pas non plus trouvé cela transcendant. Mais peut-être que cela est dû au fait que c'était notre première fois et qu'elle est ma meilleure amie. Ou peut-être à quelque chose d'autre... Heureusement, je sais qu'elle pense exactement comme moi.

- Dante ! m'hèle Raphaël. Tu étais encore dans la lune. Il y a des choses qui ne changent pas.

- Désolé, tu disais ? dis-je en lui faisant un sourire contrit.

Me perdre dans mes pensées est une des choses qui m'arrive le plus souvent dans une journée. D'après mes parents, c'est la raison pour laquelle je suis si doué pour inventer des histoires. Ils pensent que je deviendrai un brillant écrivain, mais j'en suis bien moins sûr qu'eux. J'ai déjà terminé d'écrire bon nombre d'histoires, mais aucune pour laquelle j'ai eu un véritable coup de cœur, sauf peut-être une... Et c'est pourquoi jamais personne ne m'a lu. Pour moi, me lire serait comme ouvrir une immense porte sur mon intimité, permettre à cette personne de tout voir, de me mettre à nu devant elle dans tous les sens du terme. Je ne suis pas encore prêt à le faire, du moins pas encore. Mais j'espère, au fond de moi, qu'un jour, je rencontrerai cette personne. Celle avec qui je pourrais m'ouvrir entièrement et sans aucune limite.

Notre Premier été (Auto-publié depuis le 30 octobre 2024)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant