Chapitre premier

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La peur est un sentiment incontrôlable, qui peut aller jusqu’à réfréner vos mouvements les plus basiques, vos paroles les plus simples. La peur peut vous murmurer de commettre les pires péchés. Mais sans elle, plus rien n’a de sens. Elle est le reflet de vos douleurs passées, des préventions continues et d’une imagination débordante. Elle précède aussi des joies semblant interminables, des moments inoubliables. Elle est en général d’un mauvais ahurissant, mais elle vous donne une envie de continuer. 

Elle vous force à survivre en toutes circonstances. La douleur et la peur sont vos meilleures alliées.

En général, je suis la personne qui provoque ce sentiment si dangereux, mais dans ces moments-là, il y a Lady Toscard qui arrive miraculeusement à faire taire cette terreur, à faire taire vos cris et à calmer votre coeur horrifié.

Lady Toscard est une vielle femme de lettre et de science : elle a passé sa jeunesse à étudier la différence entre réalité et surnaturelle. Quand, dans sa vingtaine, elle entendit parler d’un être sortant de l'ordinaire, elle sauta dans le premier avion en ma direction et obtint la garde, qu'elle eut sans objection.

Et c’est ainsi que, treize jours après ma venue au monde, commença notre vie commune. 

Elle me dédia sa vie.

Si je devais la décrire, je dirais qu’elle est protectrice, une femme extravagante, sachant ce qu’elle veut et quand elle l’obtiendra.

Je crois n’avoir jamais vu de peur en elle, peut être n’en a-t-elle jamais ressenti ? J’aime à penser qu’elle n’en ressent pas, que le monde n’est pas si sombre tant qu’elle est là, qu’elle sera toujours là, prête à m'aider, à me sauver, qu’importe le danger.

Mais bon, ce que je vous décris n’est pas d’une importance capitale. Le moment où nous venons de nous rencontrer, vous et moi, et bien plus loin, que direz vous d’y aller ? De revoir ces souvenirs enfouis ? Mais pour cela, il faudra remonter le temps, au moment où la première est apparue et avec elle, la peur et la fascination.

Maria est née le quinze avril d'une année que tous ont oublié. Maria est un jeune bébé bien proportionné, simple mais il n'ouvrait jamais les yeux. Quand un jour on les lui ouvrit, de force évidemment, les abysses allèrent à la découverte de la maison de ses géniteurs. 

Quelque temps plus tard, la rue l'accueillit à bras grands ouverts, l'éduqua et lui apprit que tant qu’elle ne veut pas créer la peur et la haine, elle doit cacher ses yeux, aussi beaux soient-ils.

Le bébé réussit miraculeusement à survivre pour devenir une jeune femme, cachant ses yeux de lunette sombre, un livre sous le bras.

Le mystère qui enrobe cette jeune femme attire tous les yeux. Que vous soyez un homme, une femme ou autre, votre regard trouvera un chemin vers elle. Vous tenteriez d’attirer son attention,  de recevoir son amour, d'être dans ses bras rien que pour une seconde, une nuit ou une vie. Sa beauté vous subjugue, s’empare de vos intérêts et les écrase.

Elle travaillait comme serveuse dans un bar, sa tenue composée d’une chemise noire et d'un pantalon de costume de la même couleur la rendait peu approchable. Seuls les habitués osaient lui adresser la parole, lui faire des petites blagues.

Si de jour, Marie est une simple serveuse, dès que la nuit tombe elle se transforme en tout autre chose. 

Elle devient Elle. Cette femme que l'on admire, et qui nous fascine.

Sa tenue tout de noire laisse place à une marre de tissu qui recouvre partiellement son corps. Le bandeau qui cache ses yeux disparaît et ses yeux se révèlent.

Son rôle se transforme aussi, passant de serveuse à diseuse de bonne aventure. Les hommes, qui venaient, se faisaient aborder, et par la petite trappe qu'il y avait sur sa porte, leur esprit se faisait happer, enfermer par la profondeur sans fin de son regard.

Si vous entrez dans sa taverne, vous remarqueriez que l'ambiance change complètement : si dans le bar tout n'est que mouvement et son, ici, tout est stable, immobile et calme. 

Aucun son ne sort de cette pièce.

Elle, cachée dans l'ombre attend son signal : cette petite exclamation que vous poussez par la découverte de sa tanière.

Elle s'approche lentement, assoit et attend que vous fassiez de même. Dès que vous êtes assis, commence un quart d'heure que vous ne sauriez expliquer. 

Votre corps est transporté dans un monde où toutes vos sensations sont décuplées, où votre esprit est apaisé, calmé et dans une sorte de joie que vous rechercherez plus tard. Vous ne contrôlerez plus vos paroles et vos pensées. Ses caresses vous touchent et ses mots la subliment.

Pendant environ une quinzaine de minutes, tout ce qui vous entoure est irréel. Mais dès que vos pas franchiront le pas de la porte, l’univers, où vous avez été transporté, disparaît pour laisser place à ce bar que vous fréquenterez chaque soir pour revivre cette sensation.

Elle passa plus d’une vingtaine d'années dans ce bar, dans ces tenues de voyantes, dans l’odeur de tabac et d’alcool.

À son quarantième anniversaire, Maria eut son premier et unique enfant, qu’elle eut avec un homme qu’elle a chéri et qu’il l’a chérie. Ils ne se marièrent pourtant jamais car la belle et grande Faucheuse s’y refusa. Et avant de monter ce bel escalier, elle pensa au bébé qu’elle laissait.

Et Mike grandit sans mère.

Les abysses dans mes yeux Où les histoires vivent. Découvrez maintenant