22-22-05, 22h09.
Rue de la Réunion.
Je m’appelle Stevenson Adiclas, mais tout le monde m’appelle Steve. J'habite depuis bientôt une dizaine d'années à la rue de la Réunion, tout près de la Faculté Des Sciences. L'histoire que je vais vous raconter s’est passée il y a environ deux ans. Tellement dingue, j'ai cru bon de vous la passer au fil de l'esprit. C’était en Septembre. À cette époque, j'avais dix-sept ans. Et pourtant, je disais à qui voulait l'entendre que j'étais majeur. D’ailleurs tout le monde — à l’exception des plus intimes — croyait que j'en avais dix-huit. Je venais d’intégrer un nouveau lycée, celui de Toussaint Louverture.D’après les rumeurs de l’époque, c’était l'un des endroits les plus profitables aux jeunes défavorisés. J’avais été expulsé de mon dernier lycée à cause de ma moyenne. Je dois vous admettre que j’étais un sérieux brigand. Et au niveau des cours, je n'assumais pas vraiment. Mon ancien directeur voulait que je redouble mais je n'avais ni le cran ni le courage de rester une seconde fois en Troisième. Grâce à un parrain, j’avais reçu l’autorisation de passer en Seconde. Ainsi, je me retrouvais au beau milieu de ce nouvel endroit, comme un parfait inconnu. Heureusement que mes anciens lycées n'avaient envoyé aucun mauvais rapport à ce bahut. Sinon j'aurais passé de graves moments.
J’étais au lycée depuis déjà deux semaines, on était en plein mois. Jusqu’à cet instant je ne m'étais pas encore fait de potes. On va dire que j'étais un peu timide et asocial ; de nature introvertie, j'avais l'esprit d'un renfermé. Je fuyais les relations avec les quelques élèves de ma classe. Et pourtant, il y avait un autre type qui venait d’arriver au lycée. Il avait raté la première semaine, son prénom était Abdias. De haute taille, il ressemblait bien à un « mongol ». Cet élève avait peut-être des problèmes mentaux puisqu'il agissait de manière suspecte. Néanmoins, il gardait toujours au moins une partie de sa conscience. De prime abord, il ne laissait pas une totale liberté à ses pensées.
Abdias Laroche était un peu maladroit, cela se voyait clairement. Cependant, on avait commencé à parler et à traîner ensemble. Par la suite, on était vite devenu des amis, au point d'arriver à passer du temps ensemble. On s’entendait assez bien, étant dans la même classe. Nous avions pris l’habitude d’étudier et de rédiger nos devoirs ensemble. Des fois nous étions assis l'un à côté de l'autre, d’autres fois nous étions séparés. C’était là toute la logique des lycées, les places n’étaient jamais vraiment attributives. Lundi, il était possible de s'asseoir devant alors que le lendemain on devait s'efforcer de trouver une place par derrière. Abdias et moi avions un gros point commun ; on était tous les deux nouveaux dans cet établissement.
Le lycée Toussaint Louverture n’était pas mixte, à croire que ce grand général avait eu un côté misogyne. Il n'y avait que des garçons, venus — si on peut le dire ainsi — des horizons les plus contrariés. Je connaissais déjà les règles communes aux lycées, j’en étais presque devenu un rat. Fignolé, Pétion, Firmin… Néanmoins, il faut admettre que chaque endroit avait déjà un règlement qui lui était bien particulier. Celui du lycée Toussaint Louverture avait bien ses exceptions. Parfois, même pendant les week-ends, je trainais avec Abdias. C'est le moment où nous avions le plus de temps de libre. Nous allions alors au lycée, ouvert aux élèves tous les jours de la semaine. Cela partait de très tôt jusque tard dans la soirée. Notre routine consistait à mater quasiment toutes les jeunes filles qui passaient dans notre champ de vision. Ces demoiselles nous fascinaient gravement. Des fois, il nous arrivait de leur réciter tout un tas de poèmes, sans succès.
Le plus de temps que je passais avec Abdias, le plus je me sentais mal à l’aise. L’atmosphère devenait soudainement écrasant, l'ambiance chavirait. C’était un type avec une imagination débordante. J'avais des potes qui étaient des archi fous, mais lui il semblait à un petit taré. Il avait fini par aller trop loin avec ses idées. Je tournais toujours les sujets à la générale. Il ne parlait que de trucs étranges ou déprimants. À croire que sa thématique ne se résumait qu’à ça. Ses idées étaient parfois extrêmement noires. L'image d'un jeune qui avait connu une tragédie à coup sûr. C’était comme s'il était malade, comme s'il avait de sérieux problèmes mentaux, comme je vous l’ai dit dès le début. Ou pourrait-on avancer qu'il faisait exprès, ce que beaucoup de ses actions contrediraient sur le champ. Le type me posait des questions genre comment je ferais pour tuer quelqu'un sans me faire attraper ? Pourquoi je ne portais jamais de couteaux ? De seringues ? Est-ce que j’avais déjà ressenti le besoin de prendre la vie de quelqu’un ?