Des dizaines de poèmes à l'encre étaient éparpillés sur le bureau en sapin et sur les deux grilles de fer à ses cotés. D'épais nuages séparaient Clermont-Ferrand du ciel, ses rues principales étaient assez passantes que l'automne allait bientôt décorer de ses doigts indifférents. Derrière le bureau, assis sur un vieux tabouret, Antoine ne s'arrêtait pas d'écrire. Tout en lui trahissait la misère au premier coup d'oeil, ses vêtements de toile délabrés, ses cheveux bruns si gras que le vent n'y soufflait plus et cette mine si fatiguée qu'à la joie insolente. Devant lui, une pancarte éclaircissait son travail: "A vous de fixer le prix". Il lui arrivait de relever ses cernes vers la ville et sa foule pour s'inspirer, et, quelquefois, pour vendre des poèmes.
Il remarqua une femme et son jeune fils adolescent s'approcher d'une des grilles. Antoine ne croyait pas que cela intéresse vraiment l'un des deux, et il ne le crût pas plus quand, après une légère discussion entre eux deux, la femme prix un petit billet dans son portefeuille, décrocha un des poèmes et le posa sur le bureau en exprimant la volonté d'acheter celui-ci. Il ne força pas assez son sourire, qui resta un peu froid et moqueur, mais cela ne se voyait plus à travers tant de fatigue, se pencha sur le poème pour voir duquel il s'agissait. Il l'avait intitulé "Les amants du jardin". Encore un de ses poèmes sur des jolies scènes d'amour en vers libres dans cette ville qui puait la déprime, mais ça se vendait bien, alors il continuait. Il le céda donc et la femme glissa le billet dans un béret retourné sur le bureau, puis il la remercia et la regardait du coin de l'oeil aller à l'autre grille, marchant doucement, les mains croisées dans le dos avec le poème en main, sans vraiment lire aucun poème, et continuer son chemin.
Nous étions mercredi, les familles sortaient, surtout les mères avec leurs enfants, eux qui jouaient sur la place en criant, emplis de passions qui ne semblaient déranger personne. Antoine savait bien quelles étaient les habitudes des passants, les lieux clés selon les heures et les jours, d'ailleurs, et c'était essentiel pour vendre, puisque sa poésie se calquait dessus.
Il se remit à écrire:
"ENFANTS
Les enfants courent, courent en rond
Autour des parents ennuyés
Les enfants courent, sur leur route
Leurs mères déposent des baisers
Ils courent encore, bientôt apprennent
A les partager entre eux
Caché dans les buissons les champs
Ils courent, courent en rond
Et sur la ville avec leurs yeux
Déposent des baisers"
Il ne prit pas vraiment le temps de le relire et l'accrocha a la place vacante, plusieurs personnes approchèrent au moment où il se levait pour lire tranquillement. Un couple adolescent s'était approché, et la fille sortit son portable pour en prendre quelques uns en photos, tandis que son copain restait en retrait et osait à peine regarder, non sans honte, le poète. Il s'approcha d'elle et l'invita plutôt à les lire, mais Antoine n'avait rien à faire de ces droits moraux d'auteurs. Il continua jusqu'au soir, puis mis tous les poèmes dans son bureau, replia ce dernier, prit les grilles avec le tabouret et se mit à rentrer chez lui. La ville sombrait et les lumières artificielles l'éclairaient doucement. S'empilent alors au fil du trajet des couches de silences sur les couloirs pavés.
Antoine habite au dernier étage d'un appartement derrière la cathédrale, dans un petit local de quelques mètres carrés, mal rangé, rarement lavé, avec un fin matelas trop mou sur le sol, des vêtements un peu partout, des cahiers, aucune babiole qui pourrait rappeler une personne. Il pose son bureau dans un coin, sur les vêtements, s'assoit sur son matelas.
Doucement, il sent sa respiration s'alourdir, pesante et aux sensations bien trop neutres. Il passe quelques minutes spleenétiques allongé, à ressentir tout le poids de la neutralité émotionnelle en lui, et toute la triche, toute la neutralité du silence de la pièce, toute la mort qui y circule et qui n'a pas de parfums. C'est pas vraiment ce que les clients aiment lire. Il regarde sa pile de vêtements, rêveur, ricane nerveusement, puis se décide à enfiler une veste noire en toile et à sortir. Le vent pose des baisers sur ses joues. Il se dirige vers le café "Le palais du tonnerre".
Il ne pense à rien et ne regarde rien d'autre que le trottoir, ne lève jamais les yeux ni sur les particularités de la ville ni sur le ciel transitoire et n'entend que le bruit de ses pas.
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La vénus volcanique
Ficção GeralDes poètes entretiennent leur art dans un café Clermontois.