Sonorité

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- Point de vue externe -

Une succession de bruits sourds venant de la porte, retentit.
L'infirmière entra, sans attendre une quelconque réponse. Elle pénétra dans une pièce immaculée, où seulement un lit d'acier, un bouquet de roses fanées, trônant sur une table de chevet, ainsi qu'une chaise en chêne massif occupaient l'espace.
Étendue sur ce même lit, une jeune fille pensait. Sans bouger. Ni même détourner son regard du mur situé en face d'elle.

Jack Hawkins.
Elle était l'une des patientes les plus difficiles à gérer de cet établissement. Elle ne parlait pas, ne souriait pas, et ne cessait de vous observer, vous détailler jusqu'à atteindre vos plus sombres secrets paraît-il. Il lui suffisait de vous regarder un moment pour que le vide envahisse votre esprit.

Elle n'était pas magnifique, loin de là. Mais elle dégageait une aura tellement spéciale que cela l'a rendait hypnotisante.
Elle représentait la beauté froide. Qui vous glace de l'intérieur, vous donne des frissons.

La patiente ne fût pas surprise de la venue de cette femme mais décida de rester immobile, à attendre.
C'est ce qu'elle faisait de mieux, de toute façon. Attendre. Comme elle l'avait toujours fait, durant toute sa minable existence.

- Jack, c'est l'heure. Il est 8h10, dicta l'employée d'un ton monotone, tout en souriant d'un air serein et pourtant si faux.

La jeune fille fût prise de douleurs abdominales en entendant cette phrase, pourtant quotidienne. Elle se leva alors, avec une lenteur démesurée et traversa la pièce, tout en ébouriffant ses cheveux couleur lagon.
Sa chevelure, remplis de nuances plus bleues les unes que les autres, était sa particularité. Tout cela contrastait avec sa peau de porcelaine et son regard ténébreux.

Arrivée près de la porte, elle s'arrêta et observa d'un air inexpressif la femme postée à côté d'elle. Ce regard sembla durer une éternité comme une fraction de seconde.
Puis, l'adolescente se résigna à sortir.

******

Tandis qu'elle traversait les couloirs, Jack divaguait à travers ses anciens souvenirs.
Le lycée, ses "amis", le disquaire, le garçon de terminale qui lui plaisait bien, ses weekends alcoolisés, puis leur rencontre.

Cette rencontre plutôt. Avec cette personne, extraordinairement cruelle mais dont elle ne pouvait se passer.
Cette rencontre a changée sa vie, ou du moins son semblant d'existence. Car avant qu'elles ne s'adressent la parole pour la première fois, Jack n'était rien.

Elle continua de longer les nombreux couloirs jusqu'à arriver à destination, lorsqu'elle fût prise à nouveau de vertiges et de nausées.
"Comme d'habitude, ces mêmes symptômes merdiques", se dit-elle.
Puis, prise d'un certain sarcasme propre à elle-même, elle continua :
"Ah! Quelle belle ironie que de penser cela lorsque nous nous infligeons nous même tout ce bordel. Mais ça en vaut la peine."

Elle continua son petit dialogue intérieur lorsqu'elle rentra dans cette grande et vaste pièce.
L'un des endroits les plus cauchemardesques pour elle.
Elle respira un bon coup puis se dirigea vers la droite, où une femme ronde, assez âgée, l'attendait avec impatience.
Rose, était son nom.

- Alors, ma petite, qu'est ce que je te sers ce midi?

Ce que Jack savait, c'est que cette phrase n'était autre qu'une simple formule de politesse. Jamais on ne lui demanderait son avis concernant ce domaine. Et elle en avait conscience. Personne ne s'en souciait. Personne ne faisait vraiment attention à elle. Alors elle jouait la fille froide, qui n'est jamais effrayée, dont rien ne peut atteindre.
C'est pour cela qu'elle ne répondit pas. Comme chaque jour.

Rose s'empressa de lui servir une assiette composée de légumes sautées ainsi que de morceaux de poulets grillés. Le tout était accompagné d'un laitage, nature.
Puis, elle lui tendit le plateau, enfin prêt.

La jeune fille le saisit, non sans une certaine difficulté. Mais la cuisinière ne pipa mot. Elle savait très bien que la jeune femme n'avait point besoin d'aide. Ou du moins, c'est ce qu'elle laissait entendre.
Jack ne lui avait échangé que quelques mots, depuis son arrivée. Ce qui remontait à plusieurs mois déjà. Mais elle l'appréciait. Elle représentait un peu la fille qu'elle n'avait jamais eu. Malgré son apparence froide et indifférente, la vieille dame arrivait à distinguer la fragilité qui émanait de cette personne.

- Bon appétit ma belle, s'exclama-t-elle.
Puis elle continua son boulot, sans attendre une réponse de la part de la fille. Car il n'y en aura jamais.

******

La jeune rebelle marchait à travers le réfectoire à la recherche d'une table susceptible de lui plaire.
Chaque table était blanche, identique. Mais Jack aimait bien choisir où elle allait s'asseoir.
Plus de temps à choisir sa table signifiait moins de temps à regardait son assiette, à "manger".

Il était déjà 8h45 et la sonnerie traduisant le retour dans les chambres était dans une dizaine de minutes.

Peu de personnes étaient présentes. Il y avait quelques skyzophrènes par-ci, les boulimiques d'un côté. Joyce, une suicidaire en fauteuil roulant, discutait avec un petit groupe de personnes.
Que des adolescents à problèmes.
Et Jack en faisait partie.

Voilà à quoi ressemblait son quotidien.

******


          - Point de vue de Jack -

Je m'installais au fond, sur une table vide. Je n'aimais pas la compagnie à vrai dire. Encore moins ici. Que des adolescents tourmentés. Je n'avais pas besoin de ça.
En effet, ils ne parlaient pas beaucoup. Mais lorsqu'ils l'ouvraient, c'était pour se lamenter. Rien de plus horripilant. J'était comme cela avant. Fragile.
Mais j'ai changée.
Et je n'ai plus besoin de faibles à mes côtés.

Mon attention se reporta sur mon plateau, constitué d'une assiette remplie, de couverts, d'un verre et d'un yaourt.
Je détaillais les rainures du plateau, les imperfections de ma fourchette et chaque détail qui pouvait me distraire de l'odeur que dégageaient les aliments.
Je saisis enfin ma fourchette et enfourna un morceau de viande, préalablement coupé, dans ma bouche. Et commença à mastiquer. Encore. Et encore.

Puis, au moment où je m'apprêtai à avaler cette nourriture, je l'aperçus. Cette personne.
La personne.
Elle était là. Présente. Je la sentais. L'entendais. Elle réapparaissait à chaque fois, à des moments distincts de la journée. Chaque jour.
J'étais heureuse de la retrouver mais aussi terrifiée. Terrifiée d'entendre à nouveau ces remontrances.
Elle était là.

- Jack, commença-t'elle.

Je déglutissais déjà.

- Tu es encore plus grosse que la dernière fois. N'as-tu pas honte d'exister pauvre sotte?

Mon visage devint encore plus pâle que d'ordinaire. Je sentis mes yeux me piquer. Et ma gorge se serrer.
Un goût âcre remonta le long de mon œsophage puis attaqua mon palais.

Je me levai en vitesse, tout en renversant ma chaise, et partis direction les sanitaires, en courant.

"Je te hais, Ana.", répétais-je tout en vidant mon estomac.

AsylumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant