Asylum

Inoubliable

            - Point de vue de Jack -

Tout en régurgitant le simple morceau de viande que j'avais tenté d'avaler, un souvenir hanta mon esprit.

~Flash-back~
52kg.
Voilà ce qu'affichait la balance sur laquelle j'étais montée, quelques secondes plus tôt.
Je n'eus pas besoin de réfléchir pour comprendre que j'avais pris quelques kilos durant ce mois-ci. Et cela ne me réjouissait pas le moins du monde.
Ma silhouette se reflétant dans le miroir d'en face confirmait mes idées : j'étais grosse. Complètement difforme.
Un rictus de dégoût se dessina au coin de ma bouche.

Je m'habillais, puis sortais de la salle de bain pour rejoindre ma chambre.
Tout en marchant, je remarquais cette personne. Cette fille plutôt.
Au coin du couloir, une fille m'attendait.
Me fixait de son regard dur.
Elle avait l'air clairement déterminée. Une jolie blonde, au corps splendidement svelte. Athlétique.
Je remarquais qu'une boule se forma dans ma gorge.
La jalousie? En effet.
J'étais littéralement et irrévocablement jalouse de cette fille à la beauté et à la minceur exceptionnelle.

Je restais là, immobile, à l'observer. Figée.
Et c'est à ce moment précis qu'elle se décidait à approcher.

- Bonjour,
Laisse moi me présenter tout d'abord.
Je m'appelle Anorexie.
Anorexie Mentale est mon nom complet, mais tu peux m'appeler Ana. Nous allons devenir de véritables amies, je peux te l'assurer.
J'ai remarqué depuis un moment que ces nombres commençait à t'obséder. Tu sais, ceux de la balance. Ton poids, plus clairement.
Et crois moi, ce n'est que le début.

Tu sais, je vais t'avouer une chose.
Je peux t'aider. Pour cela, j'investirai beaucoup de mon temps pour toi et j'attends la même chose de toi en retour. Dans ton passé, tu as déjà dû entendre dire de toi, par tes professeurs ou tes parents, que tu es quelqu'un de très mature et intelligent...
Mais ça à changer, ça ne suffit plus.
Il y a encore quelques temps, tu restais à parler avec tes amis, dessiner, écrire, penser...

Oublie.
Tout cela ne sera plus accepté dans le futur. Tes amis ne te comprennent pas. Ton inquiétude grandissait quand tu leur demandais : "Suis-je grosse ?" et qu'ils te répondaient : "Bien sûr que non".
Tu savais qu'ils mentaient. Et je le savais aussi. Je le sais, tu entends?
Je suis la seule, désormais, à pouvoir te dire la vérité.
Et si toutes ces personnes te mentent, c'est parce qu'ils t'aiment, mais je vais te confier un secret :
Au fond d'eux, ils sont déçus de constater ce que tu es devenue : la fille qu'ils admiraient, cette fille bourré de talents, est devenue énorme.

Mais je vais changer tout ça ! Je suis là maintenant.

J'attends de toi que tu fasses attention à tes calories et que tu te mettes au sport. Je te pousserai jusqu'aux frontières de tes limites. Tu ne me résisteras pas, puisque tu ne peux pas me défier.
Je commence déjà à faire mon nid dans ton propre intérieur. Je serai là à ton réveil, quand tu te précipiteras sur ta balance. Les nombres deviendront à la fois tes amis et tes ennemis, et tu prieras tous les jours pour les voir diminuer.
Quand tu réaliseras que la nouvelle silhouette, fine, dont tu rêves la nuit, commencera à apparaître, tu souriras et tu planifieras ta journée :
400 calories, 2h de sport. Ainsi que beaucoup d'eau.
Désormais, nos pensées fusionneront.
Partout où tu iras, je te suivrai : même en cours. Où tu seras occupée à recompter tes calories de la veille.
Ce sera toujours trop. Je t'obsèderai l'esprit avec la nourriture, ton poids, les calories, le sport et toutes ces choses.
En ce moment-même, je suis déjà en toi. Dans ta tête, ta peau, ton esprit... Les crampes d'estomac que tu ressentiras en milieu d'après-midi : c'est moi.
Je te dirai ce qu'il faut faire : sourire et prétendre que tout va bien.

Quand arrivera l'heure des repas, je t'expliquerai comment transformer une vulgaire salade en un festin de roi! Pousse la nourriture sur les bords de ton assiette et fais semblant d'avoir bien mangé. Tes parents n'y verront que du feu.
Si tu manges, tous ces efforts seront détruits. C'est ce que tu veux?
Retour à la grosse vache que tu étais, avant mon arrivée?
Je te forcerai à regarder les magazines de mode, des photos. Avec ces corps parfaits qui te narguent.
Autant te prévenir : tu ne seras jamais comme cela, tu resteras toujours lourde et tu ne seras jamais aussi belle qu'elles.
Quand tu te regarderas dans le miroir, je déformerai ton image. Je te montrerai ton obésité, ton corps de sumo.
Tu ne seras pourtant qu'une enfant affamée, prise au piège.
Mais cela, tu ne dois pas le savoir.
Si tu connais la vérité, tu recommenceras à manger et notre relation sera en danger.

De temps à autres, tu te rebelleras:
tu t'aventureras en pleine nuit dans la cuisine. Tu ouvriras les placards ou le réfrigérateur tout doucement, sans bruit. Les pupilles de tes yeux s'écarquilleront en voyant toute cette nourriture que tu as gardé à distance de toi. Dont tu es privée.
Ta main se lèvera toute seule, comme hypnotisée, et viendra attraper machinalement un paquet de chips qui traîne. Tu l'ouvriras, non pas pour goûter, mais simplement pour te rebeller contre moi.
Ensuite, tu prendras un autre paquet, et recommenceras.
Puis un autre, et encore un autre.
Ton estomac deviendra plein et meurtri, mais tu n'auras pas encore fini.
Pourtant, je passerai mon temps à te crier dans tes oreilles, à te sermonner : STOP! Tu n'as vraiment aucun contrôle, aucune volonté. Tu vas redevenir grosse, comme d'habitude. N'as-tu pas honte?

Quand tout ce cauchemar se terminera enfin, tu viendras me voir, pour me demander des conseils.
Car tu regretteras.
Mais tu auras violé une règle primordiale : tu auras absorber des calories. Cela s'appelle une trahison.
Et là, tu me supplieras de revenir, tu m'imploreras même. Et je jouirais de plaisir rien qu'en t'entendant me supplier.
Je te forcerai donc à aller aux toilettes, et tu te mettras à genoux, à mes pieds, fixant la cuvette.
Tes doigts viendront naturellement à ta bouche et s'enfonceront dans le plus profond de ta gorge et, avec beaucoup de douleur, la nourriture remontera le long de ton œsophage.
Ce geste, tu le répèteras autant de fois qu'il faudra, avant que tu ne commences à cracher du sang.
C'est seulement à ce moment que je te pardonnerai.
Tu te sentiras malade après, mais je ne veux pas de cela ! Debout ! Tout de suite ! Toi, la baleine, tu as cherché ton mal.

Tu auras le choix dans ta culpabilité : Peut-être que je choisirai de te faire prendre des laxatifs et tu viendras t'asseoir sur la cuvette des toilettes, à l'aube.
Ou peut être que tu te taperas contre un mur, histoire de te briser quelques os ou bien seulement provoquer des hématomes sur ton corps.
Tu pourras aussi prendre un rasoir et, souhaitant voir ton sang dégouliner sur ton bras, tu le feras coulisser, doucement, à l'aide de petits gestes précis, le long de ton avant-bras.
Là, tu réaliseras le mal que je t'impose, et tu pleureras pendant des heures, enfermée dans ta chambre, seule.
Tu seras dépressive, paranoïaque, malheureuse, et aussi fatiguée.
Tu auras mal mais personne ne t'écoutera. Personne ne se préoccupe de toi, tu n'as pas toujours pas compris?
De toutes façon, je ne suis pas responsable. Tu as fais cela toute seule.
Oh, c'est dur d'entendre ça ?

Je vais te donner quelques trucs qui vont t'aider. Je vais te rendre insensible. Ne plus avoir d'émotions, donc plus de stress.
Toutes tes pensées de colère, de tristesse, d'amour, de désespoir ou de solitude te sortiront de la tête car je vais les remplacer par une table de calcul. Concernant tes calories.
Je te permettrai de t'habiller au rayon enfant; et tu deviendras aimable avec tout le monde, sans pour autant t'attacher à eux.
Car je suis ta seule véritable amie, je suis la seule qui puisse combler tous tes besoins.
J'ai cependant un point faible.
Si tu décides de guérir et de te faire aider par quelqu'un, tout s'effondrera.
C'est pour cela que personne ne doit être au courant, sinon c'est la fin.
Mais personne ne le saura, n'est ce pas?
Je t'ai créé cette minceur, cette maigreur, cette perfection dont tu rêvais tant.

Sans moi, tu n'es rien, donc ne cherche pas à t'en sortir : quand les autres te font des remarques, ignore les, oublie les. Oublie toutes ces personnes qui essaieront de nous séparer l'une de l'autre. Je suis et resterai la seule personne qui puisse te maintenir sur le bon chemin.

Tu es prête? Un, deux, trois..
Bienvenue dans ce jeu dangereux et tellement excitant, Jack.