Il fait un peu froid, un peu gris. Le temps est comme suspendu. La pluie se fait sentir, mais pas une seule goutte ne tombe. L'atmosphère est lourde, chargée d'humidité, mais le ciel reste neutre, gris, banal.
Un garçon est assis sur un banc, seul, perdu dans ses pensées, le regard dans le vide. Si les yeux sont le reflet de l'âme, alors la sienne est vide, aussi vide que ses yeux bruns. Il n'a pas l'air vieux pourtant. La quinzaine, peut-être.
Ce garçon, avec ce bonnet c'est Matt. Matt, il est toujours seul, et n'a jamais besoin de personne, sauf d'Owen, qui est son meilleur ami depuis la maternelle. Il ne l'a jamais lâché, contrairement à ses autres soi-disant « amis ».
Léon, Axel et Ben ne lui adressent plus la parole depuis ça. Pourtant, ils se connaissaient depuis le collège, et avaient noué des liens vraiment forts. Pas comme Assia et Sarah, qu'ils ont rencontré au lycée. Elles, elles le regardent maintenant avec dégoût, et ne le laissent plus s'approcher d'elles.
Tous les sept, ils passaient la semaine ensemble et sortaient le vendredi soir. Les jours étaient tous les mêmes, mais quand le groupe était au complet, au moins ils s'amusaient.
Matt songe à ces moments heureux, pense qu'il y a peut-être un espoir que tout redevienne comme avant. Mais la réalité le rattrape bien vite. C'est trop tard pour les regrets, les remords, ne reste que la culpabilité.
Quelques voitures passent. L'air est calme, frai, et la ville se prépare pour les fêtes de Noël. C'est l'hiver, mais Matt n'a pas de gants, ni de manteau chaud. Il frissonne, ses doigts et son nez sont gelés. Il ne sait même pas pourquoi il est là, ce qu'il cherche. Ses devoirs l'attendent chez lui, mais il ne parvient pas à se résoudre à rentrer.
Il se remémore les évènements de la veille, et une larme coule silencieusement sur sa joue.Il fronce les sourcils et croise les bras. Un petit oiseau se pose sur la branche d'un arbre près de lui. Il le regarde pour oublier ses soucis, pour retrouver ne serait-ce qu'un petit peu de tranquillité. Mais une moto passe à toute vitesse et effraie la petite bête qui s'envole.
Une deuxième larme coule sur les joues de Matt, et finit son chemin sur sa manche. Un brusque frisson le traverse et le replonge dans ses idées noires. Comme il aimerait être comme cet oiseau, pouvoir s'en aller comme lui pour ne jamais revenir ! Comme il aimerait voir cette ville sombre rétrécir et disparaître dans la nuit !
Il se reprend aussitôt. Ce n'est pas en s'enfuyant que tout va s'arranger. N'est-ce pas... ?
Il ne bouge toujours pas, malgré ses membres qui grelottent, ses dents qui claquent. Il attend . Il attend que quelque chose se passe. Il a l'étrange impression que ce quelque chose qu'il attend va être décisif, mais il ne sait pas ce que c'est.
Il ne veut pas rentrer chez lui, ses parents ne lui adressent plus la parole depuis ça. Lorsqu'il se rend soudainement compte de la gravité de ce drame, il comprend que rien ne sera jamais comme avant. A cet instant précis, son cœur s'emballe et s'affole. Pour se calmer, il se met à parler. Il raconte ce qu'il s'est passé, comme si l'exprimer à voix haute le libérerait.
« C'était un vendredi comme un autre. On se baladait en ville tranquillement, sans nous douter un seul instant que cette virée allait tourner au cauchemar. J'avais prévenu mes parents que je sortais. Ils étaient tellement habitués à nos sorties qu'ils ne m'ont rien dit. Ma mère peignait dans son atelier, et mon père réparait la télévision.
« J'ai retrouvé mes amis sur la place Charles de Gaulle, et nous avons commencés à parler et blaguer. C'était toujours comme ça entre nous, nous ne parlions jamais de choses sérieuses. Quel bande de jeunes insouciants nous étions...
« Nous nous sommes finalement arrêtés dans un petit restaurant pas cher, mais très bon. Le repas se déroulait bien, comme d'habitude. Les garçons ont commencé à me taquiner lorsqu'ils ont remarqué que la serveuse me plaisait. Il faut dire que, sans être une bombe, elle dégageait une aura qui ne me laissait pas indifférent.
« La soirée a continué ainsi pendant un petit moment, puis je suis allé aux toilettes. A ma grande surprise, la serveuse m'y attendait. Elle a commencé à... à... »
Matt prend une grande inspiration, puis reprend son récit.
« Elle a commencé à me charmer. Au début, j'en ai été fier. Mais elle était de plus en plus pressante. Sans comprendre comment, je me suis retrouvé plaqué contre le mur. Elle m'a enlacé et embrassé sensuellement.
« J'étais très mal à l'aise, et j'ai essayé de la repousser doucement, mais plus j'essayais de l'éloigner, et plus elle se pressait contre moi. Elle m'a déchiré la chemise et... »
Il s'arrête de nouveau, cherche ses mots.
« Bref, voilà. Au dernier moment, j'ai réussi à me dégager, et je l'ai attrapée par les poignets en la plaquant à son tour sur le sol. Je crois que c'est à ce moment-là que je l'ai vraiment vue. Des cicatrices lui parcouraient tout le corps, mais pas seulement. Des bleus et des blessures récentes se trouvaient également sur elle.
« Alors que j'allais m'éloigner d'elle, j'ai entendu un cri vers l'entrée des toilettes. Surpris, j'ai tourné la tête et ai découvert, horrifié, Assia et Owen dans l'encadrement de la porte.
« La suite est très confuse dans mon esprit. Je me souviens de la serveuse en larmes affirmant que j'avais essayé de la violer, d'Assia en train de raconter aux autres ce qu'elle avait vu, et Owen me passant sa veste en me disant « Ne t'en fait pas Matt, moi j'ai tout vu, j'ai vu toute la scène ». Je me souviens de mes parents qui m'attendaient, le visage fermé. J'ai tout de suite compris qu'un de mes « amis » les avait appelés. Je me souviens de ma colère devant cette injustice, puis de ma culpabilité qui est soudainement apparue. Je me souviens d'avoir... Non, je regrette toujours de lui avoir fait mal, alors qu'elle était blessée. Je m'en veux d'avoir été violent. Et je m'en veux d'avoir gâché tant d'amitiés en si peu de temps. »
Matt s'arrête, les lèvres tremblantes et le visage trempé de larmes. Il ne bouge pas. Immobile comme de la pierre. Le froid, perfide, rusé, s'insinue de plus en plus en lui. Mais il ne bouge pas. Il reste assis, avec sa veste en jean, son bonnet et ses mains nues.
Le lendemain, les policiers le retrouvent complètement gelé, mort d'hypothermie.
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Alors oui, ce n'est pas de la poésie cette fois ^^' Ce texte date d'il y a deux ans au moins, mais il me paraissait important de le ressortir aujourd'hui. A l'origine c'est une comète qui l'a écrit, mais elle ne parvenait pas à le finir. Alors je l'ai aidé, on l'a travaillé ensemble et c'est devenu notre texte à toutes les deux. Pourquoi le publier maintenant ? Parce que la comète a disparu, et que je voulais lui rendre un dernier hommage. Cela fait quatre jours qu'elle a quitté mon ciel, peu de temps en somme qui pourtant m'ont semblé durer une éternité. Je la porterai toujours dans mon cœur, alors je voulais la présenter un peu à travers cette petite nouvelle. J'espère qu'elle vous a plu !
- Moonfly