Thomas

4 1 0
                                    

Un matin, à onze heures, un jeune homme était planté devant la porte d'une maison isolée, qui semblait abandonnée.

Pour l'instant, tout était calme, mais ce n'était qu'apparence... Sous un ciel nuageux menaçant de déverser à nouveau sur la vallée la fureur du ciel, le jeune homme tremblait légèrement dans son cuir noir et défoncé. Son blue jean détrempé lui collait aux jambes. C'était si désagréable, mais pourquoi n'avait-il pas pris le temps de mettre les cuissardes offertes par Jeanne à noël... Et puis après tout, pourquoi était-il venu ici ? Après tant d'années, pourquoi maintenant... Quelles étaient les raisons qui le faisaient se tenir là, bras ballants, debout devant cette porte en bois à moitié délabrée ? Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas observé ces jolies arabesques... Et cette gravure là, dans le coin en haut à gauche en forme de cœur, c'est lui qui l'avait faite, une quinzaine d'années auparavant, à la sortie du lycée... Il sourit à cette pensée... Tiens, elle a changé la poignée... Faut dire aussi, elle était tellement rouillée... Et cette fissure là, c'est bizarre, il ne s'en rappelle pas... Peut-être qu'elle ferait mieux de changer toute la porte finalement...

Son regard glissa doucement vers la droite, et c'est là qu'il remarqua le panneau qui pendait misérablement sous la fenêtre du salon : « A vendre ». A VENDRE ? Vendre à d'autres leurs souvenirs, leur histoire, leur détresse et leurs joies ? Son visage se durcit, et faisant brusquement demi-tour, il sortit d'une main fébrile une cigarette de son paquet tandis qu'il retournait vers sa moto, qui l'attendait sagement sur le bord de la route. Il s'assit sur le siège, dos à la maison, embrassant l'immensité du paysage verdoyant une dernière fois... Sortant ses allumettes de la poche intérieure du cuir, il allait allumer sa cigarette... Sa main tremblait toujours...

Quand la porte grinça. Dans son geste figé, il entendit une voix, SA voix, prononcer ces mots : « Je savais que tu repasserais par là, Thomas ».

Thomas se retourna alors, lentement, le cœur battant. « Ah, Danielle, c'est toi » dit-il, ne pouvant masquer une lueur de déception dans sa voix. Comment avait-il pu confondre, encore une fois, la voix de la mère et celle de la fille ? « Oui, c'est moi » répondit Danielle. « Tu venais voir Cécile ? » mais Thomas ne répondit pas. Il resta là, assis sur sa moto, à contempler la maison. « Elle semble déjà d'un ancien temps » se dit-il, en remarquant les tuiles manquantes sur le toit, surement arrachées par les violentes tempêtes des environs. Et la pierre irrégulière, autrefois blanche, devenue si grise... Et là, sous le toit, c'était la chambre de Cécile... « Mais non, C'EST la chambre de Cécile » se reprit-il. Il ne savait pourquoi, mais il sentait son cœur serré par une angoisse inexplicable. Quant à elle, Danielle regardait ce jeune homme, aux traits tirés, qui avait offert tant de joies et de peines à sa fille... « Il a l'air si lasse » se dit-elle. « Mais moi aussi, je suis fatiguée... Mon dieu, comment vais-je lui annoncer... » Essayant vainement d'afficher un sourire bienveillant sur son visage, elle brisa ainsi le silence : « Tu prendras bien un café ? Il ne reste plus grand-chose à l'intérieur, mais enfin... » Thomas acquieça, se leva péniblement de sa moto, et avança vers le perron incongru, aux marches tordues et glissantes, envahis par les mauvaises herbes.

Danielle avait raison. La maison semblait vide. Le grand buffet en bois sombre, venu tout droit d'Asie et qui trônait autrefois dans le hall en face de l'entrée, n'était plus là. Cécile aimait tant ce meuble, c'est elle qui l'avait ramené après un très long voyage... D'ailleurs, où était Cécile ? Il n'osait demander, mais pourquoi ? La question refusait de franchir ses lèvres... Au bout du hall, sur la droite, on entrait dans une vaste salle faisant office de séjour et de salle à manger. Autrefois chaude, cette pièce était maintenant froide et sentait la terre, la pluie et l'abandon. Les rideaux blancs en dentelle avaient disparu des deux fenêtres. Même la cendre de la cheminée s'était évaporée. Seules, au centre de la pièce sur un carrelage beige, restaient une petite table blanche écaillée et trois chaises assorties. Une maison à vendre, c'était bien cela. Une maison vide, que l'on s'apprête à céder. Une page du passé qu'on tourne sans l'effacer... « Quinze ans déjà », se dit Thomas. Il se rappela les derniers mots de Jeanne avant qu'il parte ce matin là : « Vas-y, va là-bas et reviens moi ensuite, si tu le peux, si tu le veux ».

Thomas soupira. « Alors comme ça, tu vends la maison ? » « Oui, à regret tu sais, mais je n'ai pas le choix... » Et avant qu'il n'ait pu retenir ses mots, Thomas demanda : « Pourquoi n'as-tu pas le choix ? Cécile ne peut pas t'aider à la garder ? Elle aime tant cette maison, il y a forcément quelque chose qu'elle doit pouvoir faire... » Un court silence s'installa.
Un silence pendant lequel Thomas, frappé de stupeur, pria pour que Danielle ne réponde pas, pour que Danielle se taise, il aurait voulu se boucher les oreilles, quand elle annonça...
« Thomas, Cécile nous a quitté.
C'est fini.
Elle est partie le mois dernier...
Je suis désolée. »

Thomas n'entendit pas la suite. Il n'entendit pas la voix de Danielle, de Cécile, lui expliquer qu'elle aurait voulu le lui dire avant, cette voix désespérée, il ne l'entendit plus, il parti en courant et en claquant la porte gravée, comme un livre que l'on referme brutalement car la fin nous a blessé. Il enfonça son casque sur ses cheveux trempés, et s'enfuit, le bruit de son moteur se mêlant au tonnerre du ciel.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Sep 21, 2022 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

ThomasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant