À mes souhaits

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« Atchoum !

- À mes souhaits.

- Merci... euh ? »

Fragodin leva la tête de son pupitre, la goutte au nez. Penché sur son ouvrage, la plume grattant sur le papier, Calomard, petit et rond, les jambes pendantes depuis son haut tabouret, recopiait l'acte que Maître Le Bloy lui avait confié, concernant la vente d'une parcelle de marais. Les deux clercs ne manquaient pas de travail, au plus grand déplaisir de Fragodin dont les sinus débiles s'encombraient des pollens, des poils, des odeurs trop fortes, du soleil et de l'omniprésente poussière notariale, bouchant ses sinus, fuyant de son nez comme un robinet mal refermé, et s'exprimant en divers éternuements plus ou moins expressifs.

« Tu... tu as dit quelque chose ? demanda Fragodin.

- J'ai dit : à mes souhaits, » répéta Calomard sans relever son nez.

Fragodin resta, mi assis mi debout, reniflant, la plume à la main.

« Tu es sûr que tu ne voulais pas plutôt dire : à tes souhaits ?

- Non, non. Je sais ce que j'ai dit.

- Ce n'est pas vraiment poli.

- C'est vrai, dit Calomard en relevant son nez de sa feuille. Maintenant, Maître Le Bloy veut cet acte recopié pour ce soir, et tu sais comment c'est difficile de déchiffrer tout acte qu'il a rédigé après déjeuner. »

Fragodin renifla, chercha un mouchoir dans sa poche, se vida avec force le nez dedans, puis se rassit, reprenant sa tâche de rédaction de l'acte de vente d'une parcelle de marais - une autre que celle de Calomard ; les ventes de parcelles de marais constituaient l'essentiel de l'activité de l'étude.

Le clerc asthmatique continua d'éternuer tout l'après-midi et, à chaque fois, Calomard soufflait dans sa moustache : « À mes souhaits. » Au début, Fragodin essayait de ne pas y prêter attention. Mais, au fur et à mesure que la journée s'écoulait à la lumière tremblotante des bougies et du poêle, au rythme incessant des plumes crissant sur le papier, Fragodin commençait à être agacé de cette impolitesse plus que flagrante. À chaque éternuement, il entendait l'insensible : « À mes souhaits, » et il tressaillait sur place. Plus d'un malencontreux pâté s'étala sur sa page quand sa plume trembla alors que Calomard répondait à ses ébrouements.

La journée arriva enfin à son terme. Fragodin avait réussi à achever son acte et le rangea avec soin dans son pupitre, avant d'éteindre sa bougie et de se redresser en s'étirant et faisant craquer son dos.

« Tu m'accompagnes prendre un verre ? demanda-t-il à Calomard.

- Non merci, je dois encore terminer ça, répondit-il en ne quittant ses feuillets des yeux.

- Comme tu veux. Bonne soirée, donc.

- Mmmh... »

De plus en plus impoli, maugréa Fragodin in petto qui enfila son pardessus et vissa son claque sur la tête d'un geste brusque. Mais quand il prit son parapluie, le tabouret de Calomard grinça quand celui-ci se retourna vers la porte.

« Tu sais quoi ? La récolte a été bonne aujourd'hui, dit-il en souriant sous sa moustache. Je te souhaite une agréable soirée, Fragodin. »

Le clerc tressaillit une nouvelle fois. Inclinant la tête fugacement, il passa la porte et rentra chez lui, la tête pleine d'interrogations quant au récent comportant de son collègue et ami.

Le lendemain, il regarda Calomard avec attention. Comme il pouvait si attendre, il s'appropriait ses souhaits à chaque éternuement ; mais son comportement avait évolué. Parfois, il disait à voix haute : « Je souhaite une petite brise en sortant de l'office aujourd'hui, » ou : « Je souhaite ne pas arriver à court d'encre avant le déjeuner. » Plein de petits souhaits ridicules qui commençait à taper sur les nerfs de Fragodin, qui se sentait au-dehors d'une bonne blague qu'on aurait refusé de lui partager.

À mes souhaitsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant