Prologue : recommencement

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Murs, ville,

Et port,

Asile

De mort,

Mer grise

Où brise

La brise

Tout dort.

Au commencement de tout, il n' y a rien. L'apaisement règne en maître et s'étend, se dilate paresseusement. Tout est silence ouaté. Tout est ténèbres profondes et protectrices. Rien ne s'entend et rien ne bouge. Rien ne respire. C'est le sommeil sans fin.

Dans la plaine

Naît un bruit

C'est l'haleine

De la nuit.

Elle brame

Comme une âme

Qu'une flamme

Toujours suit. (1)

Et puis un frisson, à peine perceptible, vient rider la surface du vide. Comme un murmure presque inaudible. Quelque chose, on ne sait quoi, s'est mis en marche. Le rien est habité, parcouru par le frémissement d'une existence ténue qui s'agite, qui vient, qui repart, comme le flux et le reflux. Et soudain l'obscurité se pare de lueurs nouvelles : des myriades d'étincelles papillonnent à tout va, cabriolent et se heurtent avant de s'unir pour dessiner une forme lumineuse plus importante. Le noir se déchire et ressemble tout à coup à un étrange sous-bois estival parsemé de lucioles. La masse de lumière semble gagner en consistance et prendre une vague apparence humaine. Elle se tord brusquement, tremble, se déconstruit puis se reconstitue difficilement. Elle semble souffrir. Si elle pouvait parler ou même pousser un cri, quel son triste et souffrant ne produirait-elle pas...

La myriade d'étincelles se débat à nouveau, comme sous le coup d'une grande souffrance. Elle s'affole, tremble, lutte comme si elle refusait quelque chose. La douleur la vrille de toutes parts et elle combat de toutes ses forces. Mais la lutte est démesurée, déjà perdue. Alors elle se laisse pénétrer par la souffrance, comme si un milliard d'aiguilles acérées la transperçait sans relâche. Et le cri fuse dans l'espace vide et noir. Un cri longtemps répercuté par le néant, comme l'écho lointain et affaibli de quelque chose de vivant, qui a existé il y a longtemps, dans une autre vie, et dont on se souvient...

Exténuée, à bout de forces, la myriade d'étincelles s'effondre sur elle-même, toujours parcourue par la douleur qui ne la lâche pas. Et cette immense souffrance qui la plie par intervalle et la parcourt, lui rappelle des sensations qu'elle a oubliées depuis bien longtemps, anéanties par le néant et le sommeil. Le battement assourdissant et si douloureux du sang sous la peau de la boite crânienne, qui laboure régulièrement le cerveau. L'estomac qui se soulève et se noue, rejetant tout se qui s'y trouve, même lorsqu'il n'y a rien, surtout lorsqu'il n'y a rien, et vous laisse épuisé. Les membres qui tremblent et soudain se dérobent, comme s'ils n'étaient plus faits de muscles et d'os mais d'une matière aérienne, comme du coton. Et la douleur qui parcourt la moindre petite fibre, la moindre petite parcelle de vous et vous fait comprendre que vous êtes vivant, car il n'y a que dans la vie que l'on peut souffrir autant...

Brusquement la forme lumineuse prend conscience qu'elle vit ! Elle vient d'être arrachée au néant doux et sombre dans lequel elle était plongée depuis si longtemps. Elle prend douloureusement conscience d'être à nouveau emprisonnée dans un corps. Elle se concentre, comme on lui a appris, il y a bien longtemps, dans une autre vie, à le faire. Elle se répand dans cette nouvelle enveloppe et se l'approprie. Un bras puis un autre, une jambe puis une autre, une tête, un cœur dont les pulsations reprennent doucement sous son impulsion, un cerveau dans lequel elle se loge. Bien installée, elle se replie sur elle-même, concentre toute sa force, s'apprête à irradier l'énergie vitale nécessaire à la mise en vie de ce nouveau corps quand, l'espace d'un instant, elle suspend son action.

I Kato Volta - Saint SeiyaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant