Il y avait sur la terrasse du café un groupe de jeunes, ce genre de population que Jean disqualifiait immédiatement dans sa gradation sociale. Ce genre bruyant, dans l'exclamation - ou la démonstration permanente. Il ne pouvait pas s'empêcher de les détester, de trouver leur réussite sociale injuste et épuisante. Mais quelle injustice y avait-il là dedans ? Si jouer le jeu social, tomber dans ce qu'il estimait être la médiocrité était si facile, il n'avait qu'à y plonger tête la première.
A cinq mètres de là se trouvait une table vide. Jean scruta les environs pour s'assurer que personne ne s'apprêtait à s'y installer. Une fois assis, il posa son téléphone portable et reposa ses coudes aux extrémités. Ces derniers s'enfoncèrent d'une dizaine de centimètres sur la table bancale. Dans sa poche, le flyer que lui avait remis un jeune homme à la sortie du métro fit parfaitement l'affaire une fois plié en 4 et inséré sous le pied défaillant. "Si seulement c'était si facile" pensa Jean, fixant du regard le rudiment de réparation qu'il venait d'installer. Soudainement, la table avait gagné en stabilité, en robustesse. Il devait désormais assumer ce qui l'avait amené jusqu'au Little Café, un jeudi 12 octobre à 18h.
Il échangeait depuis trois jours avec 'Mélanie, 24' sur Bumble. L'espace de ces 72 heures donnaient l'impression à Jean de tout connaître de cette fille. Chaque notification reçue avait été équivalente à un shot de dopamine. Il ne s'agissait pas juste de l'attention qu'elle lui portait. Les conversations que les deux célibataires entretenaient étaient drôles, instructives parfois, convaincantes toujours. Jean s'attelait à répondre à tous les messages de Mélanie et attendait les réponses en patientant sur sa galerie de photos. Le premier cliché, titré 'Mélanie, 24', dévoilait une grande fille brune au beau milieu d'une plage d'un blanc éclatant. Plus bas, Mélanie dévoilait son sourire de plus près dans un selfie à l'argentique. Sur son bras droit, se détachait un tatouage à peine déchiffrable. Chaque message rendait Mélanie plus réelle, ce tatouage était désormais accompagné d'une sensation fantasmée de toucher, une très légère rugosité.
L'écran du téléphone de Jean s'illumina pour dévoiler une nouvelle notification WhatsApp. "Mélanie Bumble: Tu y es?'" 'En chair et en os' répondit Jean. Il en profita pour désactiver ses notifications Bumble. Quoi de plus embarrassant qu'un message d'une autre pendant le premier date?, pensa Jean non sans culpabilité.
Au croisement de la rue que la terrasse longeait apparut alors une silhouette élancée - Son pas était déterminé, l'hésitation n'exerçait vraisemblablement aucune friction sur la trajectoire de cette figure. Jean sut immédiatement que son date se dirigeait maintenant vers lui, mais fit mine de vérifier son téléphone.
"Jean?". Une ombre recouvrait désormais l'essentiel de la table à laquelle Jean était assis. Il releva la tête pour découvrir un visage découpée par le contre-jour. Mélanie, 24. C'était elle.
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While it lasts
RomanceUne ville, l'écrasante impression de solitude, les errances d'un jeune homme de 25 ans en quête de sa moitié.