Prologue

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J'ai l'impression de sentir mon rythme cardiaque ralentir.


Je pourrais mourir là, allongé sur ce sol en marbre blanc. Non pas que j'en ai spécialement envie, mais je crois bien que je n'avais pas aussi la force de lutter contre. Mourir d'une overdose est une chose courante chez les junkies de mon genre. Il est si facile de mourir, que c'en est presque déroutant. Ma main tremblante tâte le sol à la recherche de mon breuvage, une bouteille de vodka pur. Il est déconseillé, voir dangereux de mélanger des substances psychoactives avec de l'alcool, mais sur ce coup là, c'était exactement ce qu'il me fallait. Caprice ou addiction? Allez savoir. J'aime penser que tout ceci n'est rien qu'un hobbie et que je pourrais tout stopper si je le voulais vraiment. Seulement voilà, pour la première fois en cinq ans, mes consommations n'ont jamais été élevé qu'en ce moment. Parce que je ne travaillais pas à plein temps. Parce que je ressentais un ennui de plus en plus croissant dans ma vie. Parce que je n'avais strictement plus rien à me raccrocher. Âme perdue dans un monde qui la dépasse.


Dans un ultime effort, j'arrive enfin à attraper cette foutue bouteille. Impossible de savoir depuis combien de temps j'ai mon dos nu calé sur ce sol froid. La première gorgée trop vite avalée, m'arracha une violente quinte de toux. Si violente que j'en arrivais à ne plus respirer pendant quelques secondes. Je me relevais bien trop précipitamment, les deux paumes de mes mains appuyés pitoyablement sur le sol. Je détestais cet état en temps normal, étant beaucoup trop fier pour me laisser réduire à ça. Mais il semblerait que l'alcool ait tendance à revoir mes valeurs en baisse. A présent assis, je rapprochais la bouteille de mon visage, la dévisageant soudainement avec une attention toute particulière. Si particulière que je n'entendis pas tout de suite la sonnerie de la porte. Il aura fallu que mon futur invité tambourine violemment la porte pour attirer enfin mon attention. Il m'aura fallu plus de trois bonnes minutes pour me lever, trouver l'équilibre et enfin de marcher jusqu'à ma salle de bain. Rien à foutre de l'emmerdeur qui continuait de plus belle à taper contre la porte. Mon regard se posa sur mon reflet ravagé par les effets de la drogue et de l'alcool réunis. Pour tout vous dire, ma vue même en pâtissait, s'étant quelques peu embrumés depuis quelques heures. J'en étais pas au stade de voir des poneys roses et des éléphants volants... mais j'en étais fichtrement pas loin. Irrité devant l'insistance de ce parasite anonyme, j'atteignis la porte en deux enjambés et l'ouvris avec une douceur qui en disait long sur mon état d'esprit.


« Qu'est que tu veux ? » Elle ne s'offusqua même. « Qu'est que tu veux, Helline ? T'as rien trouvé de mieux à faire que de m'emmerder ce soir ? » Sans même sourciller, celle-ci s'auto-invita dans l'appartement, ne tenant absolument pas compte de mon humeur de chien. Prévisible. En même temps, elle me connaissait depuis trop d'années pour s'embarrasser d'un tel comportement. « Aucun homme t'a trouvé à son goût dans ce bar miteux que tu viens de quitter ? » La réaction ne se fit pas attendre, sa main envoya violemment ma joue valser à droite. Elle aura beau tenter rester de marbre face à mes provocations, elle et moi savions très bien que je pouvais la faire sortir de ses gongs dans mes plus mauvais jours. Comment je savais qu'elle avait passé deux heures dans un bar ? Son odeur. De l'alcool et de la sueur. Sans parler de la façon clinquante dont elle était habillée. Sa tenue de bar, comme je la surnommais intérieurement. Des petits détails qui en disaient longs sur sa soirée. « Vas te faire foutre Max, vas te faire foutre. Tout le monde ne pense pas qu'à s'envoyer en l'air. » Elle me tourna le dos, avant de se diriger vers la commode la plus proche pour y déposer un dossier. « Prochain script de Sam Mendes. Ils veulent que tu y jettes un coup d'œil. Sur ce, bonne soirée, espèce de connard. »


Et elle passa devant moi, telle une violente tornade. C'est en passant la tête par dessus la porte que je remarquai qu'elle était - en fait - accompagnée. Autant pour moi. J'ai beau la maltraiter, au fond de moi, je ne souhaitais pas réellement son malheur. Sans pour autant souhaiter son bonheur. Car voyez-vous, dès qu'un membre de mon entourage goûte à un minimum de magnifique breuvage, il disparaissait aussitôt de mes parages. Me fuyant comme si j'allais les contaminer avec mes conneries, tel la peste. Triste réalité ? Je ne sais pas. Peut-être. Tout dépends de l'angle de vue. Pour ma part, j'ai tendance à me dire que ce n'est pas une grosse perte. Que cela me fait un emmerdeur de moins à fréquenter. Au fond, je sais que l'isolement sera peut-être l'une des causes de ma mort. Prétendre qu'on s'en fout des gens ou de la vie en général, ne mène forcément à rien de bon. Et contrairement au proverbe, ou peut-être aux autres gens en général, ce qui ne me tue pas, me rend pas plus fort pour autant. Je ne tire pas de leçon glorieuse après chaque désastre, je me relève plus cassé et plus sceptique à chaque fois. Le courage me semble être une notion qui ne devrait même être mentionné dans ce monde. Et si des gens se définissent en tant que tel, ceux ne sont que des menteurs qui se cachent devant une belle façade vitrée ; et comme toute vitre, ça se brisera un jour ou l'autre. Vous me trouvez irrécupérable ? Je me définis réaliste et pied à terre. L'optimisme n'a pas lieu d'être, surtout pas sur cette Terre. Ayant retrouvé un minimum de clarté dans ma tête, je passais ma main sur mon visage, d'un geste las. Toute l'euphorie que j'avais jalousement préservée, c'était envolé avec Helline. Des bruits de talons retentirent à nouveau, martelant nerveusement le marbre de mon appartement. Cette garce était de retour ?


« Dégage. » Simplement. Je n'avais visiblement pas pensé à fermer la porte derrière, ça m'apprendra tiens. Le dos toujours tourné à celle-ci, je repris tranquillement mon verre, pensant naïvement qu'elle repartirait tout aussi sec. Mais apparemment non, elle tenait bon. Ce qui ne fit qu'accroître mon énervement au final, puisque je fis volte face à la jeune femme. « Tu m'as entendu ? DEGA... » Mon ton furieux venait de se noyer dans ma gorge, sous l'effet de la surprise. C'était effectivement une femme, mais pas celle à qui je pensais.


Ses cheveux bruns tombaient en cascades sur ses épaules, recouvrant quelques parties de son visage et faisant ressortir ce sentiment de tristesse qui semblait s'installer sur ses traits. Son regard fuyait le mien pendant quelques secondes, pour mieux revenir à la charge, revigoré par une soudaine témérité. Et cette vision, cette simple vision de son visage, me calma presque instantanément. Sans pour autant m'attendrir, ou quelque chose de ce style. La vérité était que au fond de moi, j'en voulais à cette femme. Seulement voilà, je n'aimais pas ressentir ce genre de sentiment. En vouloir à quelqu'un reviendrait à dire que celui-ci vous a blessé, et que s'il vous a blessé, c'est parce que vous l'avez laissé faire. Et si vous l'avez laissé faire, c'est que vous teniez à lui. Hors, je ne tiens pas à Jules Garnier. Je ne veux pas tenir à elle, ni à personne. Alors autant que tu enfouisses ce sentiment au plus profond de ton âme blessé Max, et que tu caches le tout sous une désinvolture superficielle. Même si elle, elle sait que c'est tout le contraire. Elle a beau te connaître, il est hors de question que tu lui donnes satisfaction. C'est elle qui t'a tourné le dos, ne l'oublies pas.


« Laisses moi deviner, Armel n'est pas en ville en ce moment, c'est ça ? Tu as trouvé un peu de temps pour revoir une vieille connaissance et tu as sauté sur l'occasion ? Histoire de vérifier si celui-ci respirait encore, je suppose. . Et bien regarde ! » Je levais les bras, affichant un grand sourire, comme pour l'inviter à vérifier d'elle-même. « Je pète le feu. Et toi ? Comment vas-tu depuis la dernière fois ? »


Une pique à peine à voilée, qui faisait référence au jour où je l'ai vu en compagnie ce foutu crétin, il y a une semaine, étant moi-même avec une autre femme et que nous nous étions royalement ignorés. C'était la première fois que je la revoyais, depuis presque six mois. Et la raison de sa soudaine disparition m'était parue aussi claire que l'eau de roche: elle avait désormais d'autres priorités et je n'en faisais plus partie. Soit.


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⏰ Dernière mise à jour : Jun 07, 2015 ⏰

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I hear the pain in his voiceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant