Partie 1

81 12 26
                                    

Je descendais la passerelle de métal qui reliait l'avion à la terre ferme, trainant mes valises derrière moi. J'entendais Jojo qui sirotait un jus d'orange acide qu'elle avait acheté au distributeur de l'aéroport. 

Jojo et moi étions amies depuis... Longtemps. Nous nous étions tout de suite entendues, bien que différentes :

Moi, je venais d'une famille d'origine russe, plus qu'aisée grâce à ses investissements dans l'industrie du pétrole. Jojo était née dans les pires quartiers de Paris, vivant avec une mère aide-soignante qui luttait pour joindre les deux bouts.

La vie est injuste. Jojo avait bien meilleur caractère que moi, avec son humeur solaire et facile à vivre. Je ne l'avais jamais entendue se plaindre à quelqu'un d'autre que moi.

Contrairement à moi, qui était d'une nature peureuse, et assez renfrognée.

C'était une amitié sans faille, où nous pouvions compter l'une sur l'autre. Lorsque je passais mes sélections de basket, je pouvais être sur qu'elle serait dans les gradins pour m'encourager, criant de joie à chacun des paniers que je marquais. Et j'assistais à chacune de ses représentations de théâtre. J'étais la première à applaudir à la fin des pièces, que ce soit une comédie ou un drame.

En fait, nous étions un même être dans deux corps différents, les deux moitiés d'un tout, une parfaite harmonie. Jusqu'au jour où le miroir nous sépara.

Ce jour-là, nous avions quitté Paris pour les Hamptons, où mes parents avaient acquis une résidence secondaire, une sublime villa avec piscine, située au bord de la mer. Nous voyagions en première classe, une expérience nouvelle pour Jojo, qui regardait partout et commandait de la nourriture avec émerveillement.

- Tu penses que le mec qui est là est une star, à New York ? demandait elle en désignant un jeune homme en smoking assis non loin de là. Et si on chantait ? Il pourrait peut être nous embaucher et on deviendrait des divas aux States !

Je lui disais de se calmer, ce n'était pas la fête! 

- Ben si, justement Vicky ! Répondait elle avec le plus grand sérieux. C'est quand même tes dix huit ans, ce n'est pas rien ! 

J'avais marmonné un bref "Ouais ben hein", me rendant soudain compte de mon extraordinaire répartie*. En réalité, je n'aimais pas qu'on en fasse trop, une attitude étrange pour une gosse de bourges telle que moi. 

*Ceci est de l'ironie totale de la part de notre héroïne, merci de l'excuser.

 Je trainais mes bagages à travers le dédale de l'aéroport, toujours suivie de Jojo. Je regardais autour de moi et repérai ma cible : la bonne femme qui tenait la boutique de souvenirs. Son visage rond et ses yeux noirs lui donnaient un air aimable et doux.

Je me dirigeais vers elle avec la ferme intention d'acheter une carte postale pour mes parents. Ils avaient beau venir ici plus souvent que moi, la politesse, le capitalisme et les bons sentiments hypocrites exigeaient que je leur prenne une babiole sans intérêt, signe que j'avais pensé à eux durant mon voyage.

J'entrais donc dans le minuscule magasin et remarquai un présentoir empli de cartes de toutes les couleurs, représentant les classiques couchers de soleil ou plages de sable blanc. Essayant de toutes les observer, je les feuilletais machinalement, me livrant à une badauderie qui ne me ressemblait pourtant pas. Je n'étais pas de ces filles qui flânent dans les rayons : tout ce que je faisais avait un but précis et défini. 

Soudain, je sentis quelque chose entre mes doigts, placé parmi les cartes. Je sortais cet objet, intriguée. C'était un objet ancien, couvert de ferronneries. au dos étaient gravées de simples initiales : BY. Je le retournais et croisai le reflet de mon visage. Un miroir. Un miroir de poche.

Je gagnai la caisse pour demander son prix dans un anglais approximatif. Surprise, la vendeuse me répondit que l'objet n'appartenait pas au magasin, et que je pouvais l'emmener ou le déposer aux objets trouvés.

Alors, je pris le miroir, achetai deux cartes postales et sortis avec une certaine satisfaction. Jojo, quant elle, avait acquis de jolies barrettes jaunes qu'elle accrocha directement dans ses cheveux châtain.

Depuis toujours, je la trouvais infiniment jolie, avec son teint hâlé et ses yeux en amande. Elle portait un tee-shirt ample "j'peux pas j'ai théâtre" et un short en jean assorti à ses baskets.

Moi, j'étais quelconque. Sans doute étais-je une anomalie biologique, car ma mère avait de magnifiques cheveux noirs et une peau d'ivoire. Mon père aussi était très beau : il avait d'envoûtants yeux verts. 

Mes yeux marrons, ma peau grasse et mes cheveux raides faisaient tout juste de moi une fille banale, alors j'essayais de compenser en m'habillant d'une façon chic : fine robe bohème beige, jolie veste en jean et talons.

Nous sortîmes dans la chaleur étouffante de New York City. La vue était impressionnante. De hauts buildings et d'immenses tours peuplaient la skyline de la ville. Le ciel était sans nuage, d'un bleu limpide.

Un sourire se dessinait sur le visage de Jojo. C'était la première fois qu'elle sortait de Paris, et il était évident qu'elle n'avait jamais rien vu d'aussi majestueux. Ses yeux brillants exprimaient un émerveillement sans nom.

Baladant mon regard de tous les côtés, je remarquais un homme massif portant une casquette de chauffeur. Il tenait une pancarte sur laquelle était inscrits nos deux noms : Viktoria Ismalof et Joséphine Moret.

Derrière lui se trouvait une Bentley noire. Il nous salua d'un hochement de tête et nous ouvrit la portière.

- Voilà notre chauffeur Uber, rigola Jojo en montant dans la voiture. 

Elle fut tout de même impressionnée par l'intérieur rutilant du véhicule, s'asseyant avec précaution sur le siège en cuir.

Le tableau de bord indiquait 19h32. Je m'endormais paisiblement, mon coude posé sur le rebord de la vitre, bercée par les paysages qui défilaient sous mes yeux et le ronronnement du moteur. J'étais déjà exténuée par le décalage horaire, et le sandwich que j'avais avalé me pesait sur l'estomac, ce qui expliqua peut être les évènements qui arrivèrent par la suite.

Mon rêve était étrange. Je me trouvais dans une vieille cabane insalubre, dans les bois. Une vieille femme à l'air mauvais en sortit en marmonnant. Elle parlait dans une langue que je reconnus aussitôt : le russe. Ma mère m'avait appris à le comprendre, disant que l'on devait préserver ses racines.

La vieille se retourna et je la vis plus en détail. Elle avait le nez crochu et long, une peau craquelée et ridée ainsi que d'effrayants yeux rouges tels le sang. Elle ressemblait à une sorcière des contes. Celle ci me vit et sourit, dévoilant des dents noires rongées par la saleté.

Puis elle clama :

- TU ES LA DESCENDANTE DE VASSILISSA ! ELLE N'A PAS PAYÉ ET S'EST JOUÉE DE MOI ! TU VAS SUBIR LA MALÉDICTION DE BABA YAGA ET TU PAIERAS À SA PLACE !

La vengeance de Baba YagaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant