Jeux Dangereux

Chapitre 1

Nefera

Un haut le cœur me prend tandis que j'étale de la crème sur mon corps. J'ai mal, et je suis au plus bas. Une fois encore aujourd'hui, j'ai eu le droit au regard insistant d'un enfant qui s'est ensuite tourné vers sa mère en grimaçant. « Maman, elle est horrible, c'est un monstre, elle a des taches partout sur le corps ! ». Vivement que l'hiver revienne, que je puisse à nouveau me cacher sous des tonnes de vêtements.

Ces taches rouges sur mon corps, c'est du psoriasis. C'est comme de l'exéma mais multiplié par 100. J'en souffre depuis que je suis gamine, les autres m'ont toujours regardé avec insistance, voir moqué. C'est plus-ou-moins voyant par période, et c'est bien évidement pendant l'été qu'il a décidé d'être bien rouge. La seule zone de mon corps sur laquelle je n'en ai pas c'est mon visage. Heureusement, c'est la partie la plus voyante chez l'être humain.

-          Bébé tu vas me chercher une bière ? me demande Ryan depuis le salon, mon petit-ami.

Je soupire et sors de la salle de bain après avoir fini d'étaler la crème. Ryan et moi avons emménagé ensemble il y a deux ans environ, lorsque nous avions 20 ans, et c'est une décision que je commence désormais à regretter. Il n'est plus comme avant. Il avait pour habitude de me faire des cadeaux, de m'emmener diner dans des restaurants de luxe alors que nous n'en avions absolument pas les moyens sur un coup de tête... Maintenant, il reste scotché pratiquement toute la journée devant la télé à boire des bières.

-          Elle arrive cette bière ?

Je soupire et me dirige vers le frigo. J'en sors une et la lui apporte.

-          On peut parler, Ryan ? je demande en la lui donnant.

Il s'en empare.

-          Pas maintenant, il y a un match.

-          S'il te plait, c'est important.

Il garde les yeux rivés sur l'écran et ne me calcule même plus. Alors, la meilleure chose que je trouve à faire est de m'emparer de la télécommande et d'éteindre la télé. Il se tourne immédiatement vers moi.

-          Qu'est-ce que tu fous, là ??

-          Je t'ai dit que j' avais besoin de parler avec toi.

-          Mais on parlera après merde ! Il y a match là, t'es conne ou quoi !?

Je me redresse, télécommande en main. Puis, je me dirige vers la cuisine.

-          Passe-moi la télécommande, Nefera, dit-il en se dirigeant vers moi.

-          Plus vite on aura parlé, plus vite je te la rendrai.

-          Passe-moi cette foutue télécommande ! s'exclame-t-il.

Il tente de me l'arracher des mains mais je m'éloigne à nouveau.

-          Je déteste ton attitude en ce moment, je lance alors.

Mais il ne m'écoute pas, il veut la télécommande coute que coute.

-          Tu ne veux pas me la rendre, c'est ça ??

-          Exactement.

-          Tant pis, je me barre. J'irai le regarder chez Bradley.

Bradley, c'est notre voisin du dessous, avec qui Ryan est très ami. Et c'est donc sur ces mots qu'il quitte la pièce, me laissant seule. Il fait chaud dehors, il fait aussi très beau, pourtant je me sens vide et sans but. Ma vie avait plutôt bien commencé. J'avais pris des cours de théâtre et je suis apparue dans quelques publicités qui sont passées à la télé jusqu'à ce qu'on me fasse clairement comprendre qu'avec mon psoriasis, je n'irai jamais loin. Maintenant je suis en études de gestion, un sujet qui ne me passionne absolument pas, et j'ai un copain qui ne me comprend plus et qui est alcoolique sur les bords. Je passe une main dans mes cheveux noir ébène et pars m'allonger sur le canapé. Il est seulement 19 heures mais j'ai déjà envie de dormir maintenant. De toute manière, ce n'est pas comme si Ryan allait soudain prendre l'initiative de m'emmener diner...

**

Je suis réveillée en sursaut par un bruit de verre brisé. Je me redresse et aperçois Ryan dans le couloir de l'entrée de notre appartement. Il semble complètement saoul et vient de renverser un vase. Il tient une bière dans l'une de ses mains.

-          Salut bébé, lance-t-il alors que je m'approche de lui.

Je l'aide à retirer sa veste tandis qu'il chancèle. Il tente de m'embrasser mais je m'éloigne de lui, dégoutée. Puis, je jette un coup d'œil à l'horloge murale. Il est minuit passé.

-          Je dormais, je lui remarque alors.

-          Ouais, désolé...

-          Et puis donne-moi ça, tu me sembles assez ivre comme ça.

Je tente de m'emparer de sa bière, mais il la lève en hauteur. Il est un peu plus grand que moi, alors ça va être compliqué de l'atteindre.

-          Je n'ai pas envie de rire, Ryan. Donne-la moi.

Mais cette fois, il me repousse en appuyant sur l'une de mes plaques de psoriasis. Une grimace se dessine sur mon visage et je m'éloigne un instant. Alors, il en profite pour coller la bouteille à ses lèvres. Je m'avance vers lui et l'attrape.

-          Putain dégage Nefera, ça ne me fait pas rire du tout... lance-t-il.

Oh parce que j'ai l'air de m'amuser ? J'essaye de prendre soin de lui du mieux que je le peux. Je tire la bouteille de mon côté et il fronce les sourcils. Il commence à chanceler et la bouteille m'échappe. Puis, perdant son équilibre, il commence à agiter ses bras dans tous les sens et ce qui devait arriver arriva, il me frappe avec la bouteille. Et je me la prends en pleine tête, ce qui me fait reculer de quelques pas. Je grimace à nouveau et pose ma main sur la zone heurtée. Ça fait plutôt mal, une bouteille en pleine tête. Il part s'allonger sur le canapé tandis que je la pose sur la table du salon.

-          Tu peux défaire mes chaussures ? demande-t-il en fermant les yeux.

Je secoue la tête. Ce n'est plus possible. Je vaux mieux que ça. La solution devient soudain très claire dans ma tête. Je ne peux et ne dois pas rester ici plus longtemps. Je dois reprendre ma vie en main, trouver un homme qui me respecte. Alors, je me précipite dans ma chambre, sors un sac de voyage et commence à fourrer quelques vêtements dedans. J'y ajoute ma crème contre le psoriasis pour éviter d'avoir la peau trop sèche et donc encore plus irritée qu'elle ne l'est déjà. Je rajoute quelques produits de beauté puis ferme le sac et sors de la chambre. Sur le canapé, Ryan s'est désormais endormi, j'ai donc le champ libre. Je regarde son visage quelques secondes avant de quitter l'appartement une bonne fois pour toute. Ma décision est prise et elle est irréfutable : je ne reviendrai pas.