Semaine 1

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 Que faire d'Hégésippe, qui demande un emploi ? le mettra-t-on dans les finances ou dans les troupes ? Cela est indifférent, et il faut que ce soit l'intérêt seul qui en décide : car il est aussi capable de manier de l'argent, ou de dresser des comptes, que de porter les armes. « Il est propre à tout », disent ses amis, ce qui signifie toujours qu'il n'a pas plus de talent pour une chose que pour une autre, ou, en d'autres termes, qu'il n'est propre à rien. Ainsi la plupart des hommes occupés d'eux seuls dans leur jeunesse, corrompus par la paresse ou par le plaisir, croient faussement, dans un âge plus avancé, qu'il leur suffit d'être inutiles ou dans l'indigence, afin que la République soit engagée à les placer ou à les secourir, et ils profitent rarement de cette leçon si importante : que les hommes devraient employer les premières années de leur vie à devenir tels, par leurs études et par leur travail, que la République elle-même eût besoin de leur industrie et de leurs lumières ; qu'ils fussent comme une pièce nécessaire à tout son édifice, et qu'elle se trouvât portée par ses propres avantages à faire leur fortune ou à l'embellir.

Nous devons travailler à nous rendre très dignes de quelque emploi ; le reste ne nous regarde point, c'est l'affaire des autres.


L'or éclate, dites-vous, sur les habits de Philémon : il éclate de même chez les marchands ; il est habillé des plus belles étoffes : le sont-elles moins toutes déployées dans les boutiques et à la pièce ? Mais la broderie et les ornements y ajoutent encore la magnificence : je loue donc le travail de l'ouvrier. Si on lui demande quelle heure il est, il tire une montre qui est un chef-d'œuvre ; la garde de son épée est en onix ; il a au doigt un gros diamant qu'il fait briller aux yeux et qui est parfait ; il ne lui manque aucune de ces curieuses bagatelles que l'on porte sur soi autant pour la vanité que pour l'usage, et il ne se plaint non plus toute sorte de parure qu'un jeune homme qui a épousé une riche vieille. Vous m'inspirez enfin de la curiosité, il faut voir du moins des choses si précieuses ; envoyez-moi cet habit et ces bijoux de Philémon, je vous quitte de la personne.

Tu te trompes, Philémon, si, avec ce carosse brillant, ce grand nombre de coquins qui te suivent et ces six bêtes qui te traînent, tu penses que l'on t'en estime davantage ; l'on écarte tout cet attirail qui t'est étranger pour pénétrer jusqu'à toi qui n'est qu'un fat.

Ce n'est pas qu'il faut quelquefois pardonner à celui qui, avec un grand cortège, un habit riche et un magnifique équipage, s'en croit plus de naissance et plus d'esprit : il lit cela dans la contenance et dans les yeux de ceux qui lui parlent.


 Un homme à la cour, et souvent à la ville, qui a un long manteau de soie ou de drap de Hollande, une ceinture large et placée haut sur l'estomac, le soulier de maroquin, la calotte de même, d'un beau grain, un collet bien fait et bien empesé, les cheveux arrangés et le teint vermeil, qui, avec cela se souvient de quelques distinctions métaphysiques, explique ce que c'est que la lumière de gloire, et sait précisément comment l'on voit Dieu : cela s'appelle un docteur. Une personne humble, qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu ou écrit pendant toute sa vie, est un homme docte.


Æmile était né de ce que les plus grands hommes ne deviennent qu'à force de règles, de méditations et d'exercices ; il n'a eu dans ses premières années qu'à remplir des talents qui étaient naturels et qu'à se livrer à son génie ; il a fait, il a agi avant que de savoir, ou plutôt, il a su ce qu'il n'avait jamais appris ; dirai-je que les jeux de son enfance ont été plusieurs victoires ? Une vie accompagnée d'un extrême bonheur joint à une longue expérience serait illustre par les seules actions qu'il avait achevées dès sa jeunesse. Toutes les occasions de vaincre qui se sont depuis offertes, il les a embrassées, et celles qui n'étaient pas, sa vertu et son étoile les ont fait naître ; admirable même et par les choses qu'il a faites et par celles qu'il aurait pu faire. Un l'a regardé comme un homme incapable de céder à l'ennemi, de plier sous le nombre ou sous les obstacles ; comme une âme du premier ordre, pleine de ressources et de lumières, et qui voyait encore où personne ne voyait plus ; comme celui qui, à la tête des légions, était pour elles un présage de la victoire, et qui valait seul plusieurs légions, qui était grand dans la prospérité, plus grand quand la fortune lui a été contraire ; la levée d'un siège, une retraite, l'ont plus anobli que ses triomphes : l'on ne met qu'après les batailles gagnées et les villes prises ; qui était rempli de gloire et de modestie : on lui a entendu dire : « Je fuyais », avec la même grâce qu'il disait : « Nous les battîmes » ; un homme dévoué à l'État, à sa famille, au chef de sa famille ; sincère pour Dieu et pour les hommes, autant admirateur du mérite que s'il lui eût été moins propre et moins familier ; un homme vrai, simple, magnanime, à qui il n'a manqué que les moindres vertus.

Les Caractères de La BruyèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant