1 - Où l'on découvre l'enfance meurtrie de Cateline

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Cateline


Mon souvenir le plus ancien doit remonter à mes trois ans. Je me souviens d'endroits sombres, humides, étriqués et de cette sensation d'angoisse et d'oppression. Il m'arrive encore parfois de rêver du dortoir dans lequel je dormais. Une immense pièce obscure, où étaient disposés une trentaine de lits étroits et des armoires qui laissaient à votre linge et vos uniformes une odeur de moisie. Seules quatre bougies de faible lueur éclairaient la pièce. J'avais le deuxième lit près de la seule lucarne de la pièce. J'aimais de temps à autre y jeter un œil lorsque personne ne me surveillait. J'y apercevais un grand parc, souvent plongé dans une brume épaisse et étouffante. Quelquefois, des hommes de Mashfer perçaient ce brouillard et me laissaient glacés. Je continuais pourtant à observer par cette lucarne car j'espérais une nouvelle fois pouvoir contempler l'astre céleste lumineux que je n'avais vu, à cette époque, que deux fois dans ma vie. Mais ces deux fois sont restés gravées dans mon esprit, car en l'observant, j'avais eu l'impression de ne plus être seule.

Et puis, lorsqu'il faisait trop noir au dehors, la vitre de la lucarne était le seul endroit où je pouvais voir mon reflet : petite fille aux grands yeux verts avec une large tignasse rousse indisciplinée. Le plus frappant était mon expression : je semblais tourmentée. Et je l'étais, sans doute. Je ne connaissais rien de l'extérieur. Je ne connaissais que cette vie-là, dans ce château lugubre. Pourtant, je ressentais un vide immense. Je ne savais pas ce qu'il me manquait. Je ne trouvais pas les mots pour le décrire. Aujourd'hui, je sais : Il me manquait la chaleur, l'espoir, le réconfort, l'amour.

Nos surveillants, Madame Loinvin et Monsieur Poitrin, étaient installés dans les lits qui faisaient face à la porte. Je me souviens que sur le lit de Madame Loinvin, il y avait une couverture rouge en velours. Parfois, j'imaginai me draper dans celle-ci. Elle me semblait si douce et si chaude. Ces deux adultes étaient chargés de faire régner le calme dans notre dortoir. Bien entendu, nous connaissions les conséquences si nous venions à transgresser les règles. C'est pourquoi, personne ne venait troubler le silence de cette pièce. Personne à l'exception de Madame Loinvin. Ses incessants ronflements et ses cent trente kilos qui faisaient grincer les ressorts de son lit rendaient nos nuits difficiles. Mais personne n'était assez idiot pour s'en plaindre.

Madame Loinvin, grosse femme aux cheveux roux frisottés était l'opposé de Monsieur Poitrin, homme grand et sec, qui prenait soin de ses longs cheveux blonds et qui pestait fréquemment contre le règlement, qui stipulait que la capuche de l'uniforme devait être relevée toute la journée.

Nous étions tous habillés de la même façon, enfants comme adultes : une tunique longue noire en toile de bure, munie d'une capuche. Moi et les autres enfants avions simplement une ceinture colorée à la taille. La couleur dépendait de notre niveau d'étude. La mienne était rouge, rouge délavée.

A cette époque, je ne savais pas qui j'étais, d'où je venais. Je savais seulement où j'étais : dans la grande école de Mashfer. Je n'ai rencontré cet homme qu'une seule et unique fois mais je m'en rappellerai toujours. J'avais alors six ans. J'étais en cours de langue. Je devais traduire dans la langue de Sylant tout un paragraphe de l'un de nos livres. En règle générale, j'étais plutôt bonne élève. Mais ce jour-là, j'étais fiévreuse et souffrante. Mon professeur, un homme d'une trentaine d'année qui passait son temps à remettre sa mèche blonde derrière son oreille, me regardait fixement.

Moi, j'hésitai sur chacun des mots, j'en inventai d'autres. J'étais incapable de traduire ce paragraphe. Mais rien à faire, mon professeur me laissait m'humilier devant la salle entière.

Une fois terminé, je regardai mon professeur à la mèche folle. Celui-ci me contemplait avec une sorte de dégoût. Il s'avança alors vers moi puis me gifla.

Les filles de l'aventurier SombreroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant