A force d'être pris pour quelqu'un d'autre on finit par devenir l'avatar d'un inconnu. Il parviendra à entrer dans votre vie, à s'y épancher et influer son cours. Si vous le laissez faire il prendra ses aises.
Aussi il me sera difficile d'écrire sans trahir l'incroyable histoire qui est advenue à l'un de mes plus proches amis, qui est aussi mon voisin, car il habite la même rue que celle où mon épouse et moi avons acheté une maison. En fait, il est mon vis-à-vis et peut, très rapidement intervenir pour nous venir en aide, à Mamiko ou à moi si cela s'avérait nécessaire.
Je vais quand même essayer.
Jusqu'à présent Mourylh - c'est ainsi que je le surnomme depuis que je le connais, c'est-à-dire depuis notre plus petite enfance, et ça fait un bail, croyez-moi, - n'était jamais entré autrement qu'en invité chez nous pour partager un repas ou se retrouver avec nous autour d'un film. Pas de quoi célébrer un sabbat et invoquer Satan pour qu'il vienne sermonner les perfides espions qui cherchent à nous piéger sans que nous n'ayons rien vu venir.
Mourylh disposait de pas mal de disponibilités, il ne travaillait guère qu'à temps partiel et lorsqu'il avait un contrat conséquent, il n'était embauché que pour une durée limitée sur un mi-temps. Mourylh préférait travailler pour des potes et effectuer des tâches rémunérées de main à main sans passer par la procédure de déclaration qui aurait notablement réduit ses revenus au profit d'un état dont il remettait en doute les intentions et qui n'avait, selon lui d'autre préoccupation que d'extirper à ses sujets citoyens la plus grande part possible de leurs revenus.
Mourylh était un type lucide.
L'une des activités auxquelles il aimait bien se vouer très régulièrement consistait à se rendre au MÉGAKONSOMO CENTER de bonne heure le matin. Il y avait ses habitudes. D'abord il appréciait d'y prendre un café avant de s'élancer dans les allées de l'hypermarché pour effectuer quelques courses. En général il y restait une à deux heures puis il rentrait et achevait tranquillement sa matinée par la lecture des nouvelles quotidiennes dans un journal local.
Mais ce jour-là il se produisit un événement auquel il n'aurait pu s'attendre.
Δ
Au sortir de la station de métro, il ne reste plus qu'une cinquantaine de mètres à parcourir avant de franchir l'une des entrées à ouverture automatique qui permettent au quidam après avoir contourné une arche monumentale constituée d'un assemblage de béton et de pavés de verre, de pénétrer dans l'une des interminables galeries marchandes du MÉGAKONSOMO CENTER.
Il connaissait quatre entrées au MÉGAKON. Mais n'empruntait jamais que la plus spectaculaire.
Pour limiter la quantité de produits qu'il achetait pendant qu'il menait ses courses, il avait coutume de trimbaler avec lui un petit sac en toile. Quand son cabas était plein, il se dirigeait vers les caisses pour payer ses achats et quitter les lieux.
Ce jour-là cependant il n'eut pas le plaisir de satisfaire son rituel de badaud observateur.
Lorsqu'il se retrouva embarqué sur le parcours de la galerie marchande qui l'emmenait vers son débit de boissons favori, il constata qu'en face de lui, à seulement quelques mètres, un vieux bonhomme s'avançait sans ciller, le regard rivé sur lui.
Mourylh interrompit sa marche, dévisageant à son tour l'étranger. C'était encore l'été et l'homme supportait une casquette. Sans doute servait-elle plus à dissimuler sa calvitie qu'à le protéger du soleil, de toute façon absent à l'intérieur de la galerie marchande. Sa chemise hawaïenne bariolée laissait penser qu'il revenait d'une contrée lointaine et tropicale. L'homme paraissait indolent. Les fortes chaleurs qui sévissaient maintenant toujours sur des périodes prolongées et l'âge apparent du personnage pouvaient peut-être en partie rendre compte de l'attitude mollasse et de la démarche paresseuse qui caractérisaient l'inconnu.
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QUI EST-CE ? QUI SUIS-JE ?
General FictionVous a-t-on déjà pris(e) pour quelqu'un d'autre ?