Prologue

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Pauline sentait son cœur battre à une vitesse folle. Le monde autour d'elle était flou, blanc, aveuglant. Elle entendait vaguement le son de plusieurs voix qui lui semblaient familières, mais qui ne tardèrent pas à se perdre dans le brouhaha de son esprit.

«Ils l'ont piquée,» entendit-elle d'un côté.

«Nous ne pouvons pas l'abattre,» fut dit d'un autre côté.

Elle essaya d'articuler quelques mots, mais seul un son rauque s'échappa de sa gorge. Tout à coup, son corps tout entier fut traversé d'un éclair de douleur. Elle voulut se redresser, mais ses bras et ses jambes étaient attachés par des sangles au lit sur lequel elle semblait se trouver. Un hurlement guttural lui échappa.

Arrêtez la douleur, voulut-elle dire. Tuez-moi. Tuez-moi !

***

George ne put que contempler, impuissant, les médecins administrer une piqûre d'anesthésie à Pauline. Il se tenait devant la vitre du quartier médical de la Cheffe, ses mains serrant la rambarde si fort qu'elles en étaient blanches. Il entendit des pas arriver derrière lui, et un homme vêtu de noir s'arrêta à côté de lui. Son crâne était déjà à moitié denudé par l'âge.

«Ils vont l'enfermer,» lui apprit Gauthier d'un ton plat. «Les chasseurs de Primordia l'ont piquée. Ils ne peuvent rien faire.»

George soupira. «Et le bébé ?

— Une candidate à l'AMP* a été retenue. C'est elle qui recevra l'embryon. Il n'y a plus qu'à espérer que cela n'aura pas d'influence sur les pouvoirs de sa fille.

[*Assistance Médicale à la Procréation]

— On ne sait pas encore si c'est une fille,» rétorqua George.

«C'en est une,» lui dit l'autre. «Pour des raisons que nous ignorons encore, il est impossible pour les Élues de mettre au monde un garçon.»

Sceptique, George n'insista pas. Il changea de sujet avec une nouvelle question. «Va-t-elle rester Cheffe ? Elle n'est plus en mesure de commander.

— Les Grands devront prendre les décisions à sa place le temps qu'ils trouvent un remède. Le pouvoir sera passé à sa fille lorsqu'elle aura atteint ses vingt-cinq ans.»

George hocha simplement la tête, puis les deux hommes se plongèrent dans le silence. Les médecins avaient emporté Pauline dans une autre salle. L'air silencieux semblait retenir son souffle. Finalement, George lâcha la rambarde.

«Est-ce que je peux rencontrer celle qui donnera naissance à ma fille ?»

***

George s'installa à la table, légèrement angoissé. Il n'avait pas son mot à dire quand au placement de sa fille, et il avait peur que la femme sélectionnée ne lui plaise pas. De toute façon, il ne pourrait rien y faire.

La porte de la pièce s'ouvrit avec un grincement plaintif. Gauthier la maintint ouverte pour laisser passer une jeune femme aux courts cheveux bruns reposant sur ses épaules. Elle était habillée d'un simple t-shirt blanc à manches longues, et d'un jean délavé. Ses yeux bleus exprimaient une angoisse semblable à celle de George.

En voyant ce dernier, elle esquissa un sourire maladroit. Gauthier referma la porte derrière elle tandis qu'elle venait s'asseoir en face de lui, sans oser croiser son regard. Ses joues s'étaient empourprées.

«Vous êtes Lisa ?» demanda George en essayant d'arborer un sourire rassurant, mais lui-même était stressé.

Elle hocha vigoureusement la tête.

«Je m'appelle George,» dit-il en lui tendant la main.

Enfin, elle leva les yeux vers lui pour saisir timidement la main qu'il lui tendait. «Je suis vraiment désolée,» murmura-t-elle. «Je ne veux pas vous enlever votre enfant.

— De toute façon, je n'aurais pas été là pour la voir grandir,» répondit-il avec un demi-sourire. «Les Élues ne connaissent pas leur paternel.

— Je suis nouvelle ici,» lâcha-t-elle soudainement. «Pouvez-vous m'expliquer ce que c'est que cette histoire d'Élue ?

— Les Élues existent depuis la nuit des temps. Ce sont des femmes dotées d'un pouvoir, qui varie en fonction de l'individu. Autrefois, elles étaient nombreuses. Aujourd'hui, il ne reste plus que Pauline. C'est pour ça que nous devons absolument donner naissance à son enfant, même si elle ne le peut pas. Voyez-vous, les Élues sont considérées comme des divinités.» Il marqua une pause, attendant que Lisa ait une quelconque réaction. Comme elle ne disait rien, il reprit, «Les gens ici ont pour mission de protéger les Élues, également appelées Cheffes. Nous avons les Grands, qui assistent les Cheffes dans leurs décisions et leurs fonctions. Ce sont eux qui auront le pouvoir tant que ma fille n'aura pas vingt-cinq ans. Ce n'est pas tout. Nous avons aussi les Ombres, appelées ainsi parce qu'elles suivent la Cheffe comme son ombre. Parmi les enfants sélectionnés dès la naissance pour être des soldats, dix d'entre eux sont choisis pour avoir une chance d'être son Ombre. Seul l'un d'entre eux sera sélectionné. La sélection se fait en fonction de sa proximité avec l'Élue : pendant huit ans, ils sont mis en contact avec elle, et le plus compétant qui sera le plus proche d'elle sera choisi pour s'entraîner pendant six ans pour la protéger. À neuf ans, l'enfant choisi se fait effacer la mémoire pour oublier l'Élue, puis ils sont remis en contact à leurs quinze ans, une fois que l'Ombre se sera de nouveau fait effacer la mémoire pour oublier tout événement des six années d'entraînement.»

Il réalisa qu'il avait tout déblatéré à une vitesse impressionnante ; Lisa le regardait, l'air perdu, un sourire vacillant sur les lèvres.

«S'il y a quelque chose que vous n'avez pas compris, n'hésitez pas à me le faire savoir,» dit George d'une petite voix.

Lisa secoua la tête. «J'ai bien compris, merci beaucoup.» Son regard s'assombrit un instant. «Quel triste monde, celui dans lequel vous vivez.»

George la regarda se lever sans comprendre. Il n'avait jamais douté de la politique mise en place depuis toujours.

Pauline, elle, si.

Pris au piègeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant