Chapitre 1

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Dhunir Lagar se trouvait sur la terrasse au sommet de la Forteresse accueillant le siège de l'Ordre des Voyageurs du Multivers. Les cheveux et les yeux noirs, la barbe épaisse, il était particulièrement impressionnant. Mesurant près de deux mètres et pesant bien dans les cent cinquante kilos, il dégageait malgré tout une aura de puissance et de noblesse assez écrasante.

Depuis cent trente ans, il était le dernier grand-maître de l'Ordre. Il avait eu la lourde tâche, après l'Hécatombe, de trouver de nouveaux candidats pour intégrer les Voyageurs du Multivers. Et autant dire que celle-ci s'était révélée ardue. Les critères de sélection étaient drastiques et surtout complètement désuets. Jadis, les personnes choisies par le Conseil, par l'intermédiaire du Crystal des chevalières, étaient amenées à la Forteresse, depuis leur monde d'origine sans qu'elles ne comprennent ce qu'il se passait. On leur ôtait la mémoire par un procédé répugnant et on les envoyait, endormis dans un monde nécessitant l'aide des Voyageurs. À charge pour eux de découvrir leur mission, de réussir à la mener à bien, tout en découvrant leurs pouvoirs et, au final, de revenir à la Forteresse via les portails. De toute façon, l'échec de la mission signifiait généralement la mort de l'envoyé.

À l'époque de la grandeur de l'Ordre, chaque nouveau était accompagné par un mentor qui se chargeait d'enseigner à l'apprenti Voyageur tout ce qu'il devait savoir. Hélas, trois cents ans avant l'Hécatombe, ce n'était déjà plus qu'un aspirant sur cinq qui partait en mission avec un mentor. Et ce nombre n'avait fait que chuter au cours des siècles qui avaient suivi. Généralement, sur les quatre qui n'étaient pas accompagnés, deux ne revenaient jamais à la Forteresse. Sans que cela ne dérange jamais le Conseil, qui les considérait comme des pertes acceptables (ne garder que l'élite).

Dhunir avait vu, la mort dans l'âme, la plupart de ses consœurs et confrères ne pas revenir, ou alors meurtris dans leurs âmes et leurs chairs. La perte d'un aspirant, était un coup de couteau dans la poitrine de chacun des plus anciens Voyageurs. D'autant plus que certains avaient fondé des familles au sein de l'Ordre et, souvent, c'était un parent proche que l'on pleurait, car il ne revenait pas.

Les règles étaient strictes. Il était interdit d'aller récupérer un Voyageur qui ne revenait pas d'une mission. Les portes de ces mondes étaient verrouillées pour une durée déterminée et il était interdit d'essayer de les ouvrir avant la date prévue. Ceux qui essayaient étaient sévèrement punis par le Conseil.

Un certain nombre de Voyageurs, parmi les plus anciens, lassés de voir l'Ordre se déliter devant l'inaction et les mauvaises décisions du Conseil, avait décidé de fomenter un complot contre ce dernier, précipitant l'organisation dans une guerre fratricide qui devait durer presque un siècle et sceller l'avenir des Voyageurs du Multivers.

Il n'avait découvert tout cela qu'en rentrant d'une mission (le temps s'écoulait différemment d'un monde à l'autre). Il avait découvert la Forteresse et ses alentours complètement ravagés et ses camarades morts sans comprendre ce qui avait bien pu se passer. Fou de douleur, au bord de la folie, il avait passé vingt-sept années de sa vie à errer soûl, dans le complexe en hurlant, pleurant et insultant l'Univers. C'était finalement le bâtisseur des lieux, un maître nain du nom de Farid Damirson qui l'avait rappelé à la réalité. Ce dernier, ami de longue date des Voyageurs, depuis qu'il avait élaboré les plans et posé la première pierre de la Forteresse, n'avait pu que constater les dégâts et avait trouvé Dhunir dans un état lamentable. À grand renfort de coups de pieds et de seaux d'eau, il avait réussi à le sortir de sa folie et, il l'avait aidé, petit à petit à se reprendre en main. Le géant et le nain avaient finalement passé les décennies suivantes à enterrer les cadavres et rebâtir les ruines de la Forteresse.

Toutefois, dans les profondeurs de cette dernière, la Salle des Portes brillait à nouveau d'une lueur rouge sanguine, de plus en plus forte au fur et à mesure que les siècles s'écoulaient... Les mondes du Multivers appelaient à l'aide.

La Forteresse du MultiversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant