CHAPITRE UN.

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Ephémère.

Jordan entre enfin sur le terrain. Son entraineur ne le supporte plus. Il est passé remplaçant aujourd'hui. Il donne une tape amicale sur le dos de Maël. Mon frère se concentre. Il ne reste que cinq maudites minutes. Les deux équipes sont à égalité. Je retiens ma respiration. Je veux qu'ils gagnent. Je veux qu'ils soient qualifiés pour le quart de finale. Les caméras, elles aussi, on dirait subitement qu'elles se sont arrêtées, qu'elles attendent le moment crucial, le meilleur, pour recommencer à diffuser le coup final à la télé. Jordan me jette un regard, empli d'espérance, il cherche de l'encouragement. Je suis assise sur le banc, à côté des remplaçants, sur lequel, il y a à peine quelques secondes, je tenais la main de mon frère. D'une voix muette, en faisant en sorte qu'il lise sur mes lèvres, je lui adresse un 'Tu peux le faire, Jordan'.  De la même manière il me répond, 'Ce but, ce match, il est pour toi, Ephémère.'

Ephémère c'est mon prénom. J'ai 19 ans, et je suis étudiante en médecine. Mais avant tout, je passe le plus clair de mon temps dans les gradins des terrains pour encourager mon frère. Nos parents sont morts. Ils sont décédés dans un accident de voiture quand j'avais 5 ans. Jordan en avait 9. Depuis ce jour, nous nous sommes juré d'être là l'un pour l'autre.  Mon frère avait le talent pour devenir footballer pro. Il s'est battu pour arriver au niveau où il est. Il avait aussi le talent pour faire de grande choses, avocat, médecin, ingénieur, mais il a préféré la meilleure façon de se dénouer de toute cette peine accumulée, et de se tourner vers la meilleure façon de se défouler : Le foot.

Sur le terrain, mon frère est le meilleur. Mais il est aussi tellement agressif. C'est Maël qui le canalise. C'est son meilleur ami depuis toujours. Le premier à être présent. Le premier à retenir mon frère. Le premier à le comprendre presque autant que je le comprends. Maël est formidable.

Mon frère soupire, et se place en première ligne. Il me sourit. L'arbitre siffle les cinq dernières minutes. Tout le monde, sur les gradins, retient son souffle, encore une fois. Et puis soudain, on entend une première personne chanter. Hurler notre hymne, sur ce terrain ayant plus de 80 ans, déjà. Construit, et payé par mon grand-père, lui-même, repris par mon père, et sera repris par mon frère, je suppose.  Bientôt, tout le monde se met à les encourager, à hurler nos chansons.

Maël et mon frère son côte à côte, ils se font des passes mutuelles pour contrer leurs adversaires. Plus les secondes passent, plus ils se rapprochent des buts du terrain adverse. Le commentateur hurle :

-Et c'est un excellent jeu de passe des numéros 7 et 12, de l'équipe de Villière ! Jordan Sheppard, et Maël Phoebe énervent avec talent leurs adversaires !

Il émet un rire sarcastique. Il préfère notre équipe, j'émets un sourire satisfait. Suite à cette remarque, les deux joueurs se déconcentrent, et la balle est renvoyée, par le numéro 8 de l'autre équipe, vers l'autre moitié du terrain.

Deux minutes, il leur faut deux minutes pour revenir à leur point initial.

Il ne reste à présent que 40 secondes. Juste 40 secondes. Ils doivent tout jouer. Absolument tout.

Maël tombe, regarde le ciel, une seconde, et se relève, restant assis, comprenant qu'à présent, il devrait laisser faire mon frère. 20 secondes. Mon frère se concentre. Il respire, calmement. Lee quart de final serait pour eux s'ils réussissaient cet envoi. 15 secondes.

Jordan se poste juste devant le gardien, faisant face à un duel de regards. Respire Jordan, respire. Je sens son stress d'où je suis. Tout le monde, absolument a arrêté de chanter. Je ferme les yeux, j'inspire et expire, et je les ouvre. 'Ce match est pour toi.' Je sais qu'il pense à ces paroles.

10 secondes.

Tous les regards restent interdis. Mon frère vient de se faire piquer la balle, bientôt, tout le monde repart dans l'autre sens. Hugo, le numéro 5, parvient à repasser à mon frère cette stupide balle. 5 secondes.

Mon frère tire, sans regarder, ce sera sur le coup de la chance. Plus personne ne parle, on peut entendre le sifflement de la balle qui fend l'air, on peut entendre que je ne respire plus, on peut comprendre tous, l'enjeu de ce prochain but.

Le ballon touche le filet de plein fouet, devant le regard incompris du gardien, qui était à quelques centimètres de celui-ci. Mon frère se met à hurler de joie, ainsi que tous les supporters, toute l'équipe, tout le monde hurle, mon frère me regarde, et m'autorise enfin, à marcher sur son précieux terrain, et devant les caméras, et des yeux émus, je me mets à courir, enlevant mes chaussures à talons, bien trop peu appropriées. Mes talons noirs restent sur le sol. Mes cheveux bruns fendent l'air, ma veste en jean a du mal à rester en place, et je sais que mon T-shirt vole dans tous les sens, mais je m'en fiche. Je saute dans les bras de mon frère trempé de sueur, et me met à pleurer autant que lui. Son rêve va enfin se réaliser.

Mais si j'avais su, si ce jour-là j'avais su à quel point j'allais regretter, et à quel prix j'allais le payer, jamais, jamais, je n'aurais accepté qu'il continue de jouer.

Jusqu'au dernier but.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant