ˑ rouge sur blanc

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« i'll never run. »

— royalty, egzod&maestro.


loin derrière lui, il entend des pas précipités à moitié étouffés par la poudreuse qui valse en petites fleurs nivéennes qui semblent rire. des paroles débitées à toute allure qui sont aussitôt emportées par le vent glacial se font entendre avec le murmure entêtant des flocons. l'ivresse glaciale de l'hiver s'empare de lui, le corps élancé par les bourrasques sibériennes qui s'enchaînent à l'infini en hurlant des mots dans une autre langue.

il dévale en grandes enjambées une rude pente blanchâtre, bientôt souillée par la boue s'étant accrochée à ses griffes acérées. la dureté de la neige lui écorche ses coussinets blessés en petites plaies vermeilles, comme des coquelicots éclosant à la lune blafarde. sur sa toison foisonnante, ses boucles immaculées se confondent dans la tempête qui déferle sur la vallée.

s'il avait eu le temps de rêvasser, il se serait assis, aurait reniflé cette étrange touffe d'herbe qui dégageait une fragrance étrange, qui avait sûrement un arôme ténébreux et sec. il aurait suçoté les cicatrices qui zébraient ses pattes de sa langue chaude et râpeuse pour nettoyer les sang qui les maculait, apaisant la douleur lancinante qui les étranglait. il se serait murmuré pour lui-même des paroles apaisantes, songeant à la chair suave d'innocents chevreuils au doucereux duvets. il se serait endormi, bercé par la douce mélodie des flocons duveteux chantant leur joyeuse comptine.

derrière lui, de vagues silhouettes embrumées par la poudreuse virevoltante s'agitent. perchés sur deux jambes maigrelettes courent des ombres sombres et fébriles, se distinguant à peine dans l'ouragan hivernal. ils semblent souffrir du froid et de la faim, leur progression est lente mais déterminée, leur mince fusil posé sur leurs épaules cisaille une épaule meurtrie. maudits hommes... crache la bête intérieurement, et dans la pâleur blanche de la poudreuse, on peut aviser une dure œillade qui chatoie telle un précieux diamant nimbé de chair sanglante.

bam ! une violente explosion se fait entendre. son effrayant écho hurle dans la montagne et retentit, profond et modulé tel un cri de canidé qui se repère dans les ténèbres de la nuit. les muscles dynamisés par le grondement agressif du tir, il étire ses membres et détale comme un lapin vers de l'autre côté de l'enfer neigeux et tumultueux. ils ne peuvent pas l'avoir ; après tout, c'est un loup...

une autre détonation fait vibrer l'atmosphère irréelle. il continue sa course démente dans la tempête nivéenne et les flocons s'écrasent sur sa crinière échevelée, riant toujours tels des bambins innocents s'amusant de la façon la plus pure qui soit.

le chasseur, soutenant toujours sur son torse le fusil dont s'échappent filaments de fumée plisse ses paupières gelées. quelque chose cloche. pourquoi la proie s'arrête-t-elle ?

lui, de son côté, ne comprend pas d'avantage. il s'affaisse sans hurlement de délicieuse souffrance, la douleur ne résonne pas en écho dans son âme – elle ne crie pas à l'agonie. c'est seulement en répondant à un ultime désir qui ne s'était jamais manifesté dans son cœur dur et froid, en détournant son crâne vers son poitrail qu'il se découvre auréolé d'un fluide roussâtre, quelques gerbes cramoisies du même rouge pur que celui de ses regards, souillant sa fourrure autrefois si fière et majestueuse...

c'est un loup.

on dirait bien que je m'étais trompé... pense la créature dans un âpre rire intérieur avant de mourir.

ˑ corneillesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant