Le Scorpion Noir (Divinity)

Prologue _ Le Calme Plat

Le son des vagues berçait doucement Lÿra, tandis qu'elle demeurait posément allongée sur l'un des nombreux matelas de fortune au sol mit à la disposition des passagers du Calme Plat. Les passagers dont il était question venaient de tous les horizons, et même de toutes les classes sociales. C'était là l'une des plus grandes caractéristiques de Rivellon ; les peuples qui le constituaient étaient divers et variés. Humains, Elfes, Nains, et Lézards se mélangeaient au cœur des nombreux territoires parsemant Rivellon, cohabitant tous ensemble parfois bien difficilement. Lÿra était une Humaine, race dominante de Rivellon. Ses cheveux étaient d'ébènes, ses yeux d'argent, et sa peau de nacre. Elle était étendue là, sur ce matelas nauséabond, à bord de ce navire de l'Ordre Divin, en route pour sa destination des plus funestes ; Fort Joie. Et, bien sûr, il n'était absolument pas question de dormir pour elle. Pas avec tous ces Magisters qui rôdaient autour d'elle avec leur molosse menaçant. Pas avec un meurtre fraîchement commis, et dont l'identité du coupable restait encore à deviner.

Un meurtre. Sur un bateau rempli de détenus Ensourceleurs, tous prisonniers du collier anti-Source qui faisait la fierté de ces guignols en uniforme rouge. Et, par une amusante ironie du sort, la victime était également un Ensourceleur. Comment pourrait-on qualifier ce sentiment proprement abject ? De l'insécurité ? Oh, oui. Nul doute qu'il s'agissait d'insécurité. Malgré cela, Lÿra ferma les yeux, et tenta d'oublier toutes les terribles épreuves qui l'avaient conduite contre son grès à bord de ce vieux rafiot grinçant et malodorant.

Mais les Magisters en décidèrent autrement ; celui qui se nommait Jalen s'avança vers elle, fidèlement accompagné de son chien traque-Source et, en les entendant approcher, la jeune femme ouvrit un œil intrigué.

- Scorpion Noir. La Magister Riveline vous demande sur le champ.

Il n'était pas d'une grande amabilité. Et son chien non plus. Lÿra haussa un sourcil, et guetta furtivement les alentours. Elle fut momentanément attirée par les voix des trois enfants qui jouaient non d'elle, en réclamant gaiement une chanson à une certaine Lohse. Cette dernière s'obstinait à refuser, en prétendant ne pas connaître cette Lohse, mais il était évident qu'elle mentait.

- Allez donc vous faire voir, répondit-elle finalement en détachant lentement chaque syllabe de ses mots.

- C'est un ordre, Ensourceleuse. On ne vous laisse pas le choix.

Le molosse grogna avec une telle férocité que cela attira l'attention des deux Nains prisonniers qui, jusque-là, discutaient ensemble autour d'une table décrépie à quelques pas du matelas sur lequel la jeune femme était toujours allongée. Lÿra se sentie à ce moment-là considérablement observée.

Alors elle se leva, ignorant royalement les grognements du chien. Elle épousseta théâtralement la longue toge qui lui servait de tunique de fortune, une vieille loque trouée et malodorante attribuée à tous les prisonniers en échange de leurs beaux apparats habituels.

- Pas besoin de me montrer le chemin, grommela-t-elle à voix basse en tapotant narquoisement l'épaule du Magister Jalen.

Elle s'éloigna d'un pas digne, et dû passer devant deux Lézards (dont l'un aux allures princières et aux éclatantes écailles rouges attira indéniablement son regard), avant de prendre la direction de la proue. Elle trouva la Magister Riveline dans l'unique cabine destinée aux passagers, gardée par deux autres Magisters en proie à l'incrédulité et à l'effroi ; c'était la scène de crime qu'ils surveillaient et Riveline était, bien évidemment, en charge de l'enquête.

- Ah. Le Scorpion Noir. Enfin.

Riveline adressa un sourire forcé à la jeune femme, sans se perdre dans les politesses courtoises usagères. Lÿra haussa les épaules, et se pencha aussitôt vers le cadavre de l'Ensourceleur. En réalité, il n'en restait presque plus rien. Ce pauvre Finn, qu'elle n'avait que brièvement rencontré avant d'embarquer, était totalement méconnaissable ; il n'avait même plus de tête, et ses membres étaient totalement disloqués. Une seule chose pouvait être responsable de ce carnage, et tout le monde ici le savait ; la Source.