L'arrière boutique

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Chaque mercredi, Jules allait prendre le goûter chez sa voisine, dans l'arrière-boutique de son magasin. Aux yeux du jeune homme, cette boutique était magique. Ses étagères regorgeaient d'antiquité et d'objets en tout genre. Quand il fouillait, Jules y trouvait toujours des trésors. Il avait une passion pour les objets oubliés, qu'il retapait ensuite dans le garage de ses parents. Puis, une fois qu'il avait fini de regarder, il lui suffisait de faire retentir la clochette de l'accueil pour que la vieille femme surgisse de l'obscurité dans un bruissement de tissu. Quand il passait à côté d'elle, il retenait sa respiration pour ne pas sentir son parfum douceâtre. Il masquait avec difficulté une odeur âcre qui le prenait à la gorge. Il avait fini par conclure qu'elle passait trop de temps dans la réserve poussiéreuse additionnée à l'odeur de la vieillesse.

Ils restaient parfois jusqu'à une heure entière, à discuter des dernières trouvailles de la vieille femme, qui parvenait, Dieu sait comment, à écumer toutes les ventes aux enchères de la région, malgré son âge et sa démarche boitillante. Ils avaient toujours les mêmes places. Elle, elle se tenait dans un siège d'un violet profond face à l'entrée, et lui était assis sur un fauteuil avec un grand dossier moelleux et faisait face aux étagères remplies d'objets en attente d'être exposés dans cette drôle de boutique. Elle était sympa Mme Duzet, quoiqu'un peu étrange parfois. Il lui arrivait d'avoir des absences, et pendant qu'elle restait là, à fixer le vide, Jules se tenait immobile, mal à l'aise. Mais ça ne durait jamais longtemps et elle reprenait la discussion là où elle l'avait laissée. Mais parfois, il y avait autre chose. Une drôle de sensation qui prenait le jeune homme à la gorge. Quand il la sentait, Jules partait le plus vite possible, fuyant l'atmosphère lourde de la pièce. S'il avait cru aux fantômes et aux esprits, il se serait dit que sa présence dans l'arrière-boutique n'était plus acceptée.

D'ailleurs, cette sensation d'étouffement, Jules l'avait ressenti la semaine dernière. Tout en buvant un thé, ils étaient en train de parler d'une statuette soi-disant maudite que Mme Duzet avait achetée récemment, et qui trônait sur une étagère derrière elle, quand soudain la clochette retentit à l'accueil. Jusque là, rien d'inhabituel : Mme Duzet allait s'absenter le temps de servir le client puis allait revenir, son sourire jaunâtre scotché sur le visage. Mais ce jour-là, l'attente avait été plus longue. Trop longue, aux yeux de Jules. Au bout de quelques minutes passé seul dans la pénombre, seulement éclairé par un vieux plafonnier grésillant, il commença à se sentir mal à l'aise. Le bruit régulier d'une goutte d'eau tombant d'un vieux robinet faisait comme une pulsation régulière, et les battements de son cœur s'accélèrent sans raison. Il respirait de plus en plus fort l'air poussiéreux, incapable de bouger. Tous ses muscles étaient contractés. Il ne comprenait pas ce qui se passait. La peur lui serra la gorge, l'empêchant de crier. Sa tête commença à tourner, sa vision se brouilla. Il ne parvenait plus à penser. Ni à bouger. Même respirer était compliqué. Puis soudain, tout s'arrêta. Le petit salon se découvrit à nouveau à lui. Mais les battements de son cœur ne faiblissaient pas. Il manquait quelque chose. Pourtant, rien n'avait bougé, tout était calme et... Jules écarquilla les yeux. C'était ça. Il n'y avait plus aucun bruit. L'écoulement de l'eau avait cessé. Il se retourna lentement, espérant que la vieille marchande était revenue. Mais il n'y avait personne. Il était seul dans cette fichue pièce. Il commençait à sérieusement flipper. Si c'était une blague, ce n'était pas drôle ! Il pensa qu'il se trouvait exactement à la place du héros de film d'horreur. Il avait les mêmes pensées. Tout s'embrouillait. Il avait l'impression d'être observé de partout et entendait une foule de craquements.

D'un coup, il fit volte-face. Un bruit fort avait retentit. Un bruit d'objet cassé. Venant de l'étagère en face de lui. Un frisson lui parcouru l'échine. À la place de la statuette, une paire d'yeux jaunes le fixait. Jules était tétanisé. Qui est-ce... qu'est-ce que c'était ? Pendant plusieurs secondes, aucun des deux ne bougea. Puis les yeux clignèrent lentement et disparurent. Au même moment, des pas retentirent derrière lui. Jules ne bougea pas, pétrifié par ce qui ce pouvait se trouvait derrière lui.

Une inspiration soudaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant