Le gouffre sans fond du désespoir

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"On n'a jamais vu quelqu'un passer d'une larve à un papillon en si peu de temps, et retomber en larve l'instant d'après, pour redevenir papillon la minute qui suit, dans une sorte de boucle inexorable."

- Moi-même.

Texte écrit en pleine crise d'angoisse, sans réflexion, sans préparation, des mots, bruts, qui sont sortis en une logorrhée incompréhensible et brouillonne.

J'y dévoile tous mes aspects les plus sombres et tourmentés.

Je suis dépassé, assommé, dévasté, je ne fais rien, je ne m'exerce en rien. Je suis dans état larvaire, une forme de léthargie qui vous prend, vous mène et vous manipule de ses manoeuvres malicieuses. Voilà ma vie, en un court résumé. Aucune envie, aucune volonté, aucune énergie. Un sentiment de solitude, surtout. L'impression d'être seul face à l'immensité vaste et gigantesque du monde qui m'entoure, pendant que moi je suis là, petit être de néant, annihilé de l'intérieur et n'étant plus qu'une coquille aux yeux de l'univers. J'ai l'impression que tout mon être n'est que vide et désolation, plus vide encore que les abysses qui tapissent les profondeurs de ce monde. J'aimerai lire, j'aimerai écouter de la musique, découvrir d'autres passions mais je n'y arrive pas ou du moins, partiellement. La Peste d'Albert Camus gise sur mon chevet depuis au moins une bonne année, attendant là, patiemment, que mon ardeur pour la littérature reprenne de plus belle. Mais je n'y arriverai pas, ou tout du moins, pas pour l'instant. Désolé Camus j'ai failli, je ne pourrai pas m'imprégner de tout le savoir dont ton oeuvre regorge, mais ne me déteste pas je t'en supplie, je ne veux pas être détesté, c'est ma plus grande peur. J'en ressens des frissons horrifiants rien qu'à l'idée d'y penser. Je ne veux pas vous décevoir, ne me détestez pas je vous en conjure, faites ce que vous voulez mais ne jetez pas votre dévolu sur mon corps chétif, je n'ai rien fait, s'il vous plaît, arrêtez, ne critiquez pas ma personne, je suis déjà si fragile, c'est insurmontable, je ne sais pas si j'arriverai à dépasser tout cela, j'étouffe, je suffoque, mais pourquoi ai-je à vivre cela ? Qu'ai-je demandé ? Ne me détestez pas par pitié, si vous le faites c'est comme si je mourrais. Mais qui sait, un jour, quand j'aurais mûri, trouvé le temps, trouvé des passions, je pourrais m'y mettre et terminer tout ce que j'ai commencé. Mes envies sont au point mort. Elles gisent, elles aussi. Elles croupissent au plus profond de mon antre intérieur, si il en reste quelque chose. Peut-être qu'elle attendent d'être ravivées ou peut-être sont elles heureuses dans leur confort moribond. Elles sont peut-être comme moi après tout, pourquoi réaliser le moindre effort si je peux subsister ainsi dans la paresse et l'inaction ? Pourquoi ferai-je la moindre tâche qui m'incombe ? Qu'est-ce qui m'y oblige ? Je suis bien mieux là, à ne rien faire, à subir tout ce que cette vie m'impose. Et je suis là, ici, attendant patiemment je ne sais quoi. La grâce divine peut-être ? Dieu est mort pour moi, ce n'est pas possible. J'écoute de la musique, peut-être est-ce encore la seule chose que j'arrive à faire. Mais c'est lâche, la musique, on la subit, l'effort demandé pour en écouter est minime, ce n'est pas valeureux. Il faille que je fasse quelque chose de mieux, de plus parfait, de plus abouti, qui mérite d'être reconnu. Je dois être vu. Je dois l'être pour réussir, sinon à quoi bon ? Les gratifications ne peuvent venir que des autres de toute façon. Je suis si vide, si anéanti, je serai incapable de me congratuler. Je suis prêt à tout pour être remarqué. Je suis un homme du danger, un homme capable de tout pour parvenir à mes fins. La finalité étant d'être reconnu. Que le résultat soit mauvais ou satisfaisant, je m'en contre fiche. Il est nécessaire que je sois vu par le reste du monde. Si il faille que je me tue devant une foule énorme pour l'être je le ferai, si il faille que je rate toutes mes études pour être remarqué par mes professeurs je le ferai, si il faille que je croule sous le désespoir pour que mes proches me remarquent, je le ferai. Je ferai tout. Tout. Mon manque d'attention est tel qu'il semble être un gouffre sans fond, aspirant tout sur son passage, moi en premier. Un trou noir visiblement, qui m'aspire moi-même, qui me compresse, m'oppresse jusqu'à ne former qu'un seul point minuscule, qu'on appelle singularité. Je suis une singularité, un être informe, une masse méconnaissable, une erreur de la nature. Je n'ai ni forme ni expression physique. Je suis un tas qui pense. Je ne sers juste qu'à penser, rien ne sort de moi, aucune action, aucune conséquence, je suis une machine pensante. Ce ne sont que des idées qui découlent de moi, je n'ai aucune consistance, aucune matière pour exprimer physiquement ce que je pense. Alors, cela sert à quoi que je vive si je ne peux rien influencer autour de moi ? Si je ne sers à rien à part réfléchir ? Pourquoi vivre si je ne puis être le grand transformateur du genre humain ? Il faille que je sois important, qu'on me reconnaisse, il faille que je sois parfait dans tous mes exercices, dans toutes mes pratiques, je ne puis être autrement, sinon mourir. Il faille que j'atteigne le but primordial de mon existence, la perfection, être parfait dans tout ce que j'exerce pour ne jamais décevoir personne, pour que je sois reconnu de tous sans exception. Être infaillible, n'avoir aucune faille, tel est mon objectif pour qu'on m'apprécie. Je dois atteindre une forme divine et complète. Je dois être omnipotent, omniscient, doté d'ubiquité, être une forme suprême inégalable. Aucun échec ne doit découler de mes actions, tout doit être calculé, millimétré pour que je ne sois plus jamais mis à défaut, que j'humilie, que je compresse les autres qui me feraient obstacle, que je leur montre, qu'ils observent ma supériorité incontestée, qu'ils voient enfin qu'ils ne m'égaleront jamais, comme cela je ne pourrais plus jamais être humilié, enfin. Et si par malheur on osait contester ma primauté je châtierai celui qui a osé barrer mon chemin pour qu'enfin ils subissent ce que j'ai moi-même vécu. Mais ce n'est pas la réalité, réellement je suis un gloubi-boulga, un amas de boue qui se fait écraser par l'entièreté de l'existence. Marchez-moi dessus, allez-y, vous y êtes autorisés. On l'a tellement fait auparavant, quelle importance ? Je ne répondrai pas, je ne rétorquerai pas. Trop faible, pas assez fort, inexistant. J'aimerai être fort, mais on ne m'a pas donné la chance de l'être, dommage ça sera pour une autre fois, ou jamais. J'aime à observer les gens qui sont forts, je les admire, et quand je les regarde je me dis que j'aimerai être pareil. On voudrait toujours avoir ce que l'on a pas de toute façon. Mais moi, je n'ai rien pour moi, rien ne m'appartient, on m'a tout pris, tout volé. Alors, pourquoi ne pourrais-je pas souhaiter obtenir la même chose que les autres ? N'ai-je pas le droit d'être heureux un jour dans ma vie ? Ou alors je suis condamné à croupir dans la malédiction de la désolation perpétuelle. Et tel est le cas, le Soleil n'a pas pointé le bout de son nez depuis un moment, me disais-je. Et c'est bien normal, si il osait s'approcher du gouffre sans fond qui me sert de coeur, il serait tout de suite absorbé et annihilé. Alors il ne vient pas, il a peur je me dis, mais qui oserait approcher un être aussi insipide et effrayant que moi ? Qui voudrait avoir en sa compagnie un être qui n'apporte que malheur et dévastation dans tous les lieux qu'il fréquente ? Qui souhaiterait même m'aimer ? Qui aurait même une once d'envie d'être aux côtés d'une cavité éternelle dont aucune lumière émane ? Qui ? Ils sont tous méchants de toute façon. Tous emplis d'une haine si ancrée et enracinée en eux qu'ils sont à leur façon des failles ténébreuses aussi vides que moi. Aveuglés par les apparences, leur façon d'être, ce qu'ils représentent pour les autres, les modes, ils se confortent entre eux à bannir et exclure la moindre personne qui sortirait de leur petit monde fermé, afin de se sentir exister, et reconnus, comme moi finalement. Ne seraient-ils pas en fin de compte aussi avides d'affection et de reconnaissance que moi, en usant de mécanismes aussi vils et diaboliques ? Je me le demande bien. Mais eux au moins, sont entourés, ils ont une « vie » comme on dit. Moi je n'ai rien, encore et encore, tout se retourne contre moi, le monde veut ma peau, on veut ma fin, on me cherche, on veut me tuer, je suis mort. Je suis fini de l'intérieur, il suffit qu'on vienne assassiner la coquille qui renferme mon défaillant esprit pour que je n'existe plus. Qu'on vienne me chercher, je me livre aux cerbères rugissants, aux meutes de loups affamés, ma carcasse est à vous, venez dévorer toutes les parts faisant de mon enveloppe un « corps », je suis à votre merci, j'en viens au diable, qu'il vienne lui aussi, qu'on me maudisse éternellement et jusqu'à la fin des temps, que je fasse l'objet d'une mise à prix, qu'on vienne à ma traque dans le monde entier, que les armées de Satan se déversent sur mon corps vil et sans interêt, qu'on me dépossède de tout ce que j'ai, de tout ce qui fait mon âme et mes chairs, je veux être vide, dépourvu de tout, pourvu de rien, dégarni, désemparé de tous mes moyens, pour juste un peu de reconnaissance, je ne voudrai plus être, laissez-moi cette chance.


Le gouffre sans fond du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant