9. Gagné.

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9 août 2019.

Pierre longe le littoral pour rentrer au logement qu'il a loué pour l'été. Il aime évoluer dans cette pénombre où personne ne peut le reconnaître. Il a l'impression de pouvoir être qui il souhaite. Un inconnu dans cette nuit noire. Il profite des remous des vagues qui se retirent paisiblement du sable. Il observe les étoiles brillant dans le ciel. Il n'en a que peu l'occasion durant la saison. La pollution lumineuse des capitales dans lesquelles il voyage éteint bien souvent ces astres porteurs d'une once d'espoir.

Il entend au loin un air joyeux. Des rires. Des bouteilles en verre qui s'entrechoquent. Un groupe d'amis célébrant cette soirée d'été qu'ils aimeraient voir durer pour l'éternité. Le pilote sourit. Il a beau s'être imposé cette solitude, il a hâte de retrouver ses amis. Et aussi, un peu, les circuits.

Parce que ce sont des moments de travail mais surtout des moments de vie. Il jalouse presque ces jeunes insouciants qui profite de la nuit. Parfois, il a l'impression que tous les sacrifices que lui et sa famille ont concédé ne valent pas le prix de sa réussite. Mais lorsque cette pensée l'envahit, aussitôt il culpabilise. Pierre aime ce qu'il fait. Il n'y a pas d'autres endroits au monde où il est plus heureux que derrière un volant, s'arrachant à chaque dépassement. Mais comme dans toute la société, cela ne suffit pas. Politique, argent et pouvoir s'en mêlent. Et tout ne dépend pas de lui.

Il aimerait pouvoir revivre à nouveau sa première fois. Quand le bruit assourdissant de son moteur de kart faisait vibrer son âme. Quand le parfum unique de l'essence le faisait frissonner. L'une de ses odeurs préférées. Piquante. Épicée. Mais tellement puissante et captivante. Cette saveur qui fait monter en lui l'excitation de la course et qui annonce vitesse et frisson.

A cet instant, il désirait plus que tout monter dans un kart en espérant connaître à nouveau toutes ces sensations. Ce moment où il avait eu la satisfaction de découvrir que c'était sa passion. Sans pression. Il se souvenait de tout. Du vent contre lequel il luttait. De son cœur, qui battait à mille à l'heure. Il avait déjà pour ambition de gagner, mais l'essentiel était de s'amuser.

Et tout avait été décuplé quand un beau jour le téléphone avait sonné. On le laissait monter dans une monoplace et Pierre avait l'impression de pouvoir aller tutoyer les étoiles. Une adrénaline sans pareille mesure qui s'était infiltrée dans chacune des fibres de son corps. Il s'y sentait bien. Il ne voulait plus jamais en descendre.

Nostalgique, il soupire en regardant l'horizon. Il payerait cher pour redevenir ce jeune pilote plein de rêves et d'ambition. Retrouver ce plaisir brut de pousser le moteur à son maximum, d'exploiter chacune de ses forces. Il devait utiliser cette rage qui bouillonnait en lui. Il devait entretenir cette flamme qui brûlait en lui. 

Rien qu'un instant, le normand aimerait oublier les conséquences et les opinions. Mettre de côté, les journalistes impatients et les sponsors qui ne se préoccupent que de la rentabilité de leur investissement. Oublier qu'il n'a pas le droit à l'erreur. Il veut remporter la course, recevoir les honneurs. Il est fatigué, il ne pense qu'à retrouver cette simplicité de vitesse et de liberté.

Se retrouver. C'était l'objectif de son été.
Mais peut-être que, après tout, Pierre s'est finalement oublié.

Il essaye d'esquiver ce travail qu'il doit mener. Il refuse d'affronter ses pensées. Il les redoute. L'angoisse le guette. Il fait fausse route. Alors, pour ne pas se retrouver seul avec elles, il tente s'occuper. De s'enivrer d'activités, sans se soucier de sa santé.

En pénétrant dans son logement, Pierre refuse d'aller se coucher. Parce que, dans son sommeil, il y a ses pires cauchemars qui aiment venir le hanter. Il passe dans la salle de bain pour prendre une douche qu'il espère salvatrice.

REMÈDE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant