Tout est une question de confiance

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La lumière du soleil disparaissait doucement derrière les montagnes, illuminant de son éclat orangé les cimes des arbres enneigés. Bientôt, de minuscules points d'un blanc nacré apparurent dans le ciel, parsemant de leur douceur la profondeur noircie laissée par l'absence du soleil. Le crépitement joyeux d'un feu résonna dans le bois, troublant un instant le silence qui s'était installé. Des braises virevoltaient entre les flammes, illuminant de leur éclat rougeoyant les troncs environnants. Les ombres s'allongeaient sur le sol de la forêt, dessinant dans l'obscurité les silhouettes des personnes autour du foyer. Ceux-ci parlaient avec animation, emplissant les alentours d'un brouhaha léger. Des enfants étaient assis à même le sol, chahutant. Les adultes s'organisaient autour du feu, posant sur les tables de bois des plats emplies de mets divers. Mais tous étaient différents des êtres humains « normaux ». Leur peau était pâle, leurs oreilles plus pointues. De longs cheveux blonds tombaient en cascade sur certaines épaules, ou se dressaient ébouriffés sur la tête des autres. Ils avaient tous de longs habits aux couleurs chatoyantes. Des capes, des robes, des habits de fêtes.
Au milieu de ce festival de diversité se tenait un homme. Moi. Mes cheveux bruns tombaient devant mon visage, et mes oreilles n'étaient pas pointues. Un homme au milieu des elfes. En paix. Je pensais cela impossible. Et pourtant, l'ambiance était détendue, les gens riaient, dansaient, chantaient. Comme si chacun oubliait la guerre qui se profilait à l'horizon. La violence contre ce peuple que l'humanité persécutait. Les ordres des rois des différents pays pour les éliminer. Avant de les rencontrer, j'aurai cru, comme tous, que ce n'était qu'une population barbare. Qu'ils étripaient les humains, avec leurs longs doigts fins, mangeaient leur chair, et n'étaient bon qu'à être éliminés. Maintenant, c'était différent. J'avais découvert leur vraie nature.
Ils n'étaient pas comme dans les livres. Un rire me fit sortir de mes pensées. Aela tourbillonnait entre ses semblables, sa longue robe blanche virevoltant, comme portée par le vent. Je ne pouvais m'empêcher d'observer ses cheveux lisses, ses yeux pétillants, ses traits fins, si différents de ce que j'imaginais. Son regard azur croisa le mien, et elle me sourit. Elle s'approcha délicatement, comme si elle lévitait au- dessus du sol, discrète et légère comme la brise du printemps. Elle se pendit à mon cou, un sourire étincelant sur les lèvres. Mes bras l'entourèrent, presque comme un réflexe, tandis que nous tournions au milieu de cette foule bienveillante. Je n'avais pas envie de sourire, mais je me forçais en la voyant ainsi. Ils avaient tous l'air détendus, heureux. Aela me souffla à l'oreille.
« Alors ? Nous sommes toujours monstrueux ? »
Ma gorge se serra un peu. Je ne savais rien de ce peuple, sur qui l'humanité répandait des rumeurs. Je ne savais que penser. Je lui répondais néanmoins, dans un murmure.
« Je n'aurai jamais dû croire cela. »
Ma réponse parut lui plaire, car son sourire s'élargit.
« Ne sommes-nous pas bien, ici, loin de toute cette violence ? Caché dans une forêt,
certes, mais libres. De toute façon, ils ne nous trouveront jamais ici. »
Mon cœur se mit à battre plus fort contre ma poitrine. Comme pour me rappeler les
troupes à la recherche des derniers elfes. Des soldats surarmés qui arpentaient le pays, payaient de lourdes sommes en échange de quelques informations. L'avis des hommes était unanime.
Ce peuple ne méritait que de disparaître. La voix d'Aela me ramena une fois de plus à la réalité. Elle me souriait, un peu de pitié et de réconfort dans les yeux.
« Ne t'en fais pas. Nous sommes enfin en paix ici. »
J'allais avoir besoin de temps, cela était sûr. Un plat arriva devant nous, chargés de fruits divers. Je le fis passer, plaquant un sourire forcé sur mon visage. Une odeur sucrée vint à mes narines, me faisant me détendre un peu. Tous riaient, et étaient familiers avec moi. Comme si j'étais des leurs. Ils me faisaient confiance, comme s'ils me connaissaient depuis toujours. Mais moi, je n'y arrivais pas. Je me répétais sans cesse que ce n'était que des étrangers. Qu'ils étaient réputés pour leurs meurtres sur les humains. Je frissonnais un peu, avant de laisser mon regard dériver vers Aela. Je ne pouvais croire qu'elle soit un monstre. Tant de délicatesse, de bonne humeur. Je secouais la tête. Monstre ou pas, il fallait que je me méfie. Une boule me serrait l'estomac, me faisant douter continuellement. Avais-je pris la bonne décision ? Je ne savais pas. En les regardant là, souriant ensemble, je doutais. Ma place n'était pas là, je le savais.

Il y eut soudain des bruits de pas dans la forêt. Tout autour. Des craquements de brindilles, des murmures. Si nombreux qu'ils s'entendaient par-dessus le brouhaha environnant. Les conversations s'arrêtèrent peu à peu, et la tension monta. Nous n'attendions personne. Les enfants rejoignirent leurs parents, tandis que chacun scrutait l'obscurité avec anxiété. Tout à coup, un cri résonna dans la nuit, emplissant l'atmosphère de son sinistre augure. Je me reculais en bordure de la forêt avec lenteur, observant de loin ce peuple qui m'avait fait confiance. Le regard d'Aela croisa le mien. Elle comprit. Et je compris qu'elle avait compris. Ses yeux se tintèrent de douleur, pendant qu'une larme coulait sur sa joue. Je me reculais d'avantage, m'enfonçant à moitié dans l'obscurité. Je ne pouvais plus rien faire pour eux. Des ombres me passèrent bientôt à côté, s'écartant en me voyant, envahissant la clairière. La lame de leurs épées luisait à la lumière de la lune, brillant d'un éclat menaçant. Des cris retentirent. Et c'est là que le chaos commença.
Les soldats s'avançaient, piétinant l'herbe de leurs bottes ferrées, couvertes de plaques d'armures. Ils levaient leurs armes, les abattaient sur les êtres les plus proches. Le sang coula, éclaboussant de son éclat pourpre les troncs environnants. Je les regardais, immobilisé par la terreur. J'entendais leurs cris résonner dans mes oreilles, m'arracher les tympans, sans pouvoir rien faire. M'interdisant de faire quoi que ce soit. J'avais conduit les hommes ici. Je ne pouvais plus reculer. L'odeur du sang m'emplit les narines. A chaque fois, elle me rassurait, me faisait penser à la prime que j'allais toucher. Mais cette fois, elle me donna envie de vomir. Je détournais le regard en voyant un enfant périr sous les coups des hommes. Sans aucune pitié pour ce peuple. Sans aucune pitié pour ce dont on avait peur. Sans aucune pitié pour l'inconnu. Mon regard passa de cadavre en cadavre. Je la cherchais, elle. Aela. Celle qui m'avait envoûtée, celle qui m'avait fait confiance. Celle pour qui je regrettais terriblement mon acte. Celle pour qui j'avais hésité à me taire. Et le métal s'abattait encore et encore, achevant une à une les vies restantes dans cette clairière. Une seule personne se bougeait encore faiblement, une femme, penchée sur le corps d'un vieil homme. Ses joues étaient inondées de larmes, tandis que son regard se tournait vers moi. Ses yeux azur n'étaient que terreur et tristesse. Sa robe blanche était imbibée de sang. Du sien. Elle ouvrit la bouche, poussant son dernier cri pour moi.
« MENTEUR »

J'avais l'habitude, c'était normal. Normal. Mais il y avait autre chose. Une envie d'hurler, de fuir... de pleurer. De crier jusqu'à ce que ma voix se brise. De courir jusqu'à ce que mes jambes se brisent. Que mes larmes coulent jusqu'à ce que je me brise. Que je ne ressente plus rien. Une envie de vomir me serra la gorge. Les cadavres s'entassaient, me regardaient avec des yeux morts. M'accusaient de leurs mains tendues vers moi. Ils hurlaient de leur bouche remplies de sang. Je les entendaient. Leur voix résonnait dans mes oreilles. Elle vibrait contre mes tympans, répétant encore et encore la même phrase. J'étouffais, je ne pouvais plus respirer. Mes jambes me guidèrent à l'extérieur de la clairière. Loin du sang qui imbibait le sol. Loin de ces familles qui respiraient avant la joie, et qui maintenant ne respiraient plus. De ces enfants qui ne voulaient que jouer, vivre une vie douce et tranquille, qu'on leur avait arrachée. Je trébuchais sur les racines des arbres, sans en tenir compte. Je courrais, essayant d'échapper à leurs murmures, à leurs paroles, à leurs cris dans mes oreilles. Mais j'avais l'impression qu'ils étaient là, toujours. Derrière moi, me poursuivant avec leurs yeux vides, leurs cheveux poisseux de sang. Ce mot qui résonnait en moi, me faisant trembler. C'était normal. Les arbres semblaient grandir autour de moi, me dévisageant avec dégoût. Me pointant du doigt, moi, le faible humain qui trahissait. Je ne parvenais plus à respirer. Mon cœur se serra, revivant encore et encore les dernières visions de la clairière. Mes mains tremblaient. Répétant encore et encore ce mot qui ne sortirait plus de mon esprit.
Menteur.

Tout est une question de confianceWhere stories live. Discover now