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Les bruits remplissaient la nuit, elle avait les yeux fermés, le son des klaxons ne pouvait la réveiller. Ces derniers temps, elle avait pris l'habitude de ne pas passer de nuit complète, ses parents laissaient la télé allumée. Les infos circulaient : "la Russie attaque l'Ukraine".
Le bruit des explosions se rapprochait, les voisins pleuraient. Mais elle ne comprenait pas pourquoi cette agitation.
Cependant ces derniers jours les mélodies de la guerre nous encerclaient. Les voisins ne pleuraient plus, car ils savaient que cette chose que l'on ne peut pas prévoir pouvait approcher de sa fin. La vie !
Après tout rien ne peut se prévoir, la vie défile, le temps passe et enfin c'est fini. Toutes ces années que vous avez passé à respirer, réfléchir, agir. Fini, et c'est là que vos pertes, défaites, conflits mais aussi vos réussites peuvent sembler inutiles.
Les phares des voitures cassaient l'obscurité de la nuit. Tous étaient aveuglés, tous étaient submergés par la peur et cela était suffisant pour occuper les deux voies. Ils n'étaient plus qu'à une centaine de kilomètres de la frontière, derrière cette ligne juridique ils pourront avoir accès à de la nourriture, mais surtout de l'aide.
Ses parents étaient jeunes, frustrés, les voitures roulaient au pas, lentement mais sûrement. Son père ne pouvait s'empêcher de balader ses doigts sur le volant, sa mère, elle s'était endormie. Infirmière, elle fut réquisitionnée pour aider à soigner les survivants des explosions, des attaques, de cette barbarie. Elle avait pu voir des choses, des corps calcinés, des patients mourir et des familles commencer des deuils dans cette atmosphère maladive.
Cette nuit fut l'une des plus douces pour elle, elle dormait avec la certitude qu'au réveil ils auraient l'assistance de nombreux soldats. Ils seront réfugiés mais accueillis dans un pays qui les traiterait du mieux possible au même titre que sa population. Ils remercieront cette nouvelle nation de les épauler.
Quelques heures plus tard, la voiture passe la frontière. Devant eux un assemblage d'ambulances, de soldats, d'infirmiers. Ses parents la réveillèrent, du haut de ses 6 ans elle ne comprenait vraiment ce qui se passait, elle était terrifiée, peureuse. La famille se présenta, le père devant tendant les papiers aux officiers et la mère elle tenait la main de sa fille qui serrait dans ses bras un ours en peluche, il n’était pas de première main, mais elle le serrait très fort. Sur le bonnet que portait cet animal, on y lisait le prénom de la petite fille : “Daryana” brodé en doré.
Les étapes étaient longues, ils étaient baladés, “à droite”, “à gauche”, “plus loin", “par là”, “là bas''.  Mais dans la foule la gamine était poussée, bousculée, son bras était fatigué, lourd, elle ne pouvait plus tenir son objet fétiche. Elle lâcha sa mère et couru dans la direction où elle l’ avait perdu:

- Daryana, Daryana, ma fille ! cria une femme en ukrainien

Sans réelle utilité, Daryana était hors de vue.
Sa mère, Yuri s’affola, son mari s'éloigna, elle ne pouvait bouger, elle devait retrouver sa fille. 

- Daryana, Daryana, Daryana ! Cria Yuri tout en courant dans la direction où était partie sa fille.

Elle partait en pleures, elle ne pouvait le supporter, elle avait perdu une partie de sa famille, de ses amis, de son entourage.  Sa mère était morte par cette guerre tout comme certains de ses cousins, de ses amis qui étaient dans ces bâtiments visés lors de cette guerre. Elle en avait pleuré des proches, elle ne pouvait pas perdre sa fille, pas elle. Elle poussait tous les passants, dont on pouvait entendre les injures. Cette situation à cause d’un homme, un homme préparé, averti, et avide. Avide d’un désir de pouvoir, de territoire. Un fou !

Daryana était effrayée, entourée d'inconnus, ne retrouvant pas son ours en peluche, elle s'effondra en larmes. Elle voulait retrouver son doudou, sa grand-mère le lui avait offert quand elle avait trois ans, ses parents lui interdisaient d’aller la voir depuis quelques mois, elle ne savait pas pourquoi. Aucun appel, aucune lettre et quand elle demandait à sa mère pourquoi, elle avait un air froid et sombre. Mais aucune réponse sauf un sourire qui se donnait une image rassurante, elle était jeune, ne comprenait pas la situation mais elle le sentait, un sentiment de tristesse et de peur la parcourait. Elle s'accroupit, la tête dans les bras en sanglots, instinctivement elle leva son regard vers le ciel, il y avait un lever de soleil, une nuit disparaissait, et le jour lui succédait. C’était magnifique, elle se mit à sourire, cela lui rappelait un tableau, dans l’appartement de son aïeul. Elle prit confiance, se leva, s'approcha des soldats et s'arrêta :

- Ce mec est dingue ! dit un soldat

-Il fallait déjà se poser des questions avant, non ? Avec ce Poutine ! lui répondit son collègue

A ce nom, Daryana tressaillit, elle se sentait mal, pourquoi ce nom. Elle ferma les yeux et se souvint, du son de la télé allumée tous les jours, peu importe que cela soit le couché ou le levé du soleil. Comment un homme peut-il donner un tel sentiment à un enfant, le faire trembler jusqu'à la moelle de ses os ?

- Il n’a aucun argument valable, en réalité il veut juste le pouvoir. Il nous parle d’intimidation, de n*zi. Poursuit l’un des soldats.

- L’Homme est attiré par le pouvoir mais certains n'ont pas la morale suffisante, pour eux : tuer, torturer, détruire des vies c’est rien, le résultat compte bien plus que les moyens.

- L’Homme laisse le pouvoir et les responsabilités à des Hommes politiques, mais cet homme est plus un diable qu'un Homme.

Les deux soldats tournèrent la tête vers la jeune fille, elle était seule, elle semblait avoir pleuré. Ils se regardaient comme une proie regarde ses prédateurs. L’un des soldats pris la décision de s’approcher d’elle, il lui souriait, elle ne comprenait certainement pas sa langue alors il lui fit des gestes simples. Il la saluait, puis s'accroupissait de façon à être à sa hauteur, il mit sa main sur sa joue puis avec son pouce essuya une larme qui coulait. Ses joues étaient chaudes, ses yeux rouges, tout cela pour un homme. Pour un représentant d'une nation, représentant de l'obstination malsaine, d'une boucherie.

- Tu sais petite, cet homme, c'est un gamin, il se bat pour deux ou trois bonbons seulement en faisant le malin. Rassura le soldat peu importe si elle pouvait comprendre sa langue.

Elle hocha la tête sans forcément comprendre ce qu'était cet homme et cette avarice, mais uniquement par intuition. Elle tendit sa main au soldat, il la récupéra puis se leva. Il fit signe de tête à son camarade pour retrouver ses parents.

Le soldat surveilla la gamine qui tout du long d’une discussion concentra son regard sur le collier que portait le militaire. C’était un drapeau avec douze étoiles.

- Tu n’as plus à t'inquiéter, on va retrouver tes parents et tu pourras retourner chez toi, le désir d’un homme n’est pas suffisant pour se battre contre une nation qui se bat pour ses valeurs. C’est juste une crise d'ado, Il veut se faire voir grand.

L’homme continua, il ne savait pas si elle pouvait comprendre sa langue, ses idées mais elle semblait rassurée par cette réalité qu’il énonçait.
Il partit dans son camion récupérer une peluche plutôt ancienne mais la petite l'accepta. Elle avait la même douceur que ce qu’elle cherchait, elle tendit son regard vers l’homme :

- Merci. dit-elle dans une langue que le soldat ne pouvait réellement comprendre.

InnocenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant