HISTOIRE DE LA REVOLUTION ***
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HISTOIRE DE LA REVOLUTION FRANCAISE
_PAR M.A. THIERS_ DE L'ACADEMIE FRANCAISE
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NEUVIEME EDITION
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TOME PREMIER.
DISCOURS PRONONCE PAR M. THIERS,
LE JOUR DE SA RECEPTION A L'ACADEMIE FRANCAISE. (l3 DECEMBRE 1834.)
MESSIEURS,
En entrant dans cette enceinte, j'ai senti se reveiller en moi les plus beaux souvenirs de notre patrie. C'est ici que vinrent s'asseoir tour a tour Corneille, Bossuet, Voltaire, Montesquieu, esprits immortels qui feront a jamais la gloire de notre nation. C'est ici que, naguere encore, siegeaient Laplace et Cuvier. Il faut s'humilier profondement devant ces hommes illustres; mais a quelque distance qu'on soit place d'eux, il faudrait etre insensible a tout ce qu'il y a de grand, pour n'etre pas touche d'entrer dans leur glorieuse compagnie. Rarement, il est vrai, on en soutient l'eclat, mais on en perpetue du moins la duree, en attendant que des genies nouveaux viennent lui rendre sa splendeur.
L'Academie Francaise n'est pas seulement le sanctuaire des plus beaux souvenirs patriotiques, elle est une noble et utile institution, que l'ancienne royaute avait fondee, et que la revolution francaise a pris soin d'elever et d'agrandir. Cette institution, en donnant aux premiers ecrivains du pays la mission de regler la marche de la langue, d'en fixer le sens, non d'apres le caprice individuel, mais d'apres le consentement universel, a cree au milieu de vous une autorite qui maintient l'unite de la langue, comme ailleurs les autorites regulatrices maintiennent l'unite de la justice, de l'administration, du gouvernement.
L'Academie Francaise contribue ainsi, pour sa part, a la conservation de cette belle unite francaise, caractere essentiel et gloire principale de notre nation. Si le veritable objet de la societe humaine est de reunir en commun des milliers d'hommes, de les amener a penser, parler, agir comme un seul individu, c'est-a-dire avec la precision de l'unite et la toute-puissance du nombre, quel spectacle plus grand, plus magnifique, que celui d'un peuple de trente-deux millions d'hommes, obeissant a une seule loi, parlant une seule langue, presque toujours saisis au meme instant de la meme pensee, animes de la meme volonte, et marchant tous ensemble du meme pas au meme but! Un tel peuple est redoutable, sans doute, par la promptitude et la vehemence de ses resolutions; la prudence lui est plus necessaire qu'a aucun autre; mais dirigee par la sagesse, sa puissance pour le bien de lui-meme et du monde, sa puissance est immense, irresistible! Quant a moi, messieurs, je suis fier pour mon pays de cette grande unite, je la respecte partout; je regarde comme serieuses toutes les institutions destinees a la maintenir, et je ressens vivement l'honneur d'avoir ete appele a faire partie de cette noble Academie, rendez-vous des esprits distingues de notre nation, centre d'unite pour notre langue.
Des qu'il m'a ete permis de me presenter a vos suffrages, je l'ai fait. J'ai consacre dix annees de ma vie a ecrire l'histoire de notre immense revolution; je l'ai ecrite sans haine, sans passion, avec un vif amour pour la grandeur de mon pays; et quand cette revolution a triomphe dans ce qu'elle avait de bon, de juste, d'honorable, je suis venu deposer a vos pieds le tableau que j'avais essaye de tracer de ses longues vicissitudes. Je vous remercie de l'avoir accueilli, d'avoir declare que les amis de l'ordre, de l'humanite, de la France, pouvaient l'avouer; je vous remercie surtout, vous, hommes paisibles, heureusement etrangers pour la plupart aux troubles qui nous agitent, d'avoir discerne, au milieu du tumulte des partis, un disciple des lettres, passagerement enleve a leur culte, de lui avoir tenu compte d'une jeunesse laborieuse, consacree a l'etude, et peut-etre aussi de quelques luttes soutenues pour la cause de la raison et de la vraie liberte. Je vous remercie de m'avoir introduit dans cet asile de la pensee libre et calme. Lorsque de penibles devoirs me permettront d'y etre, ou que la destinee aura reporte sur d'autres tetes le joug qui pese sur la mienne, je serai heureux de me reunir souvent a des confreres justes, bienveillans, pleins des lumieres.