Compromis

Epilogue

« Si Mark t'aime vraiment, je veux dire, s'il veut bien t'épouser... Eh bien, je vous viendrai en aide, d'une manière ou d'une autre. »

Cela faisait à présent cinq ans que Jimin avait prononcé ces mots et aidé sa sœur Sunmi à s'enfuir avec le garçon dont elle était amoureuse depuis l'enfance, Mark Tuan, le fils d'un hobereau des environs.

Et il y avait maintenant neuf mois qu'elle avait pris dans ses bras la benjamine, Hwasa, et lui avait promis de l'aider à s'enfuir, elle aussi, loin de l'oppression et de la tyrannie de leur père - ce puritain convaincu que les omégas étaient les proies du péché et qu'il fallait les tenir éloignées, de gré ou de force, de toute tentation.

La rêveuse Sunmi et la sensible Hwasa dépérissaient sous le joug paternel, soupirant après une autre vie, faite de rires, de musique, de livres. Et d'amour.

« Oui, surtout d'amour », songea Jimin en reposant l'arrosoir à côté des plantes vertes. Le révérend

Park tolérait difficilement la présence de fleurs dans son église, mais il espérait que le lierre et autres végétaux au feuillage sombre contribueraient à rappeler à ses paroissiens que le cimetière les attendait tous.

Jimin prit place sur le banc le plus proche, insensible au froid qui montait des grandes dalles de pierre, à travers la fine semelle de ses bottines, et une fois de plus torturée par la culpabilité : il se reprochait amèrement de n'avoir pas su deviner les intentions de Hwasa.

La benjamine s'était enfuie, elle aussi, sans demander l'aide de son frère aîné, ne laissant derrière elle qu'un bout de lettre déchirée sur lequel on déchiffrait à grand-peine un nom celui d'une sœur de leur mère, dont Jimin ignorait jusque-là l'existence.

Le vicaire raya le prénom de Hwasa de la bible familiale, comme il l'avait fait de celui de Sunmi.

Même si l'une ou l'autre lui avait écrit, Jimin était certain que leur père avait intercepté et détruit leurs lettres. Mais le jeune homme s'accrochait à l'idée que, s'il leur était arrivé quelque chose de vraiment grave, le révérend Park n'aurait pu le lui dissimuler bien longtemps. Il était toutefois bien difficile de croire qu'elles étaient heureuses et en bonne santé en ignorant tout de leur destin.

Jimin plaqua ses mains sur ses reins douloureux, essayant d'oublier les pleurs de Hwasa, le jour où elle avait été sévèrement réprimandée pour avoir adressé la parole au vicaire de la paroisse voisine.

« Il a dit que j'étais une... gourgandine et que je voulais détourner Mr Kwon de ses devoirs, sanglotait-elle en lui racontant les faits. Comment espère-t-il que nous puissions jamais trouver un alpha, si nous n'avons pas même le droit de parler à un pasteur ? »

Dieu seul le savait, en effet... Mais Jimin, lui, n'ignorait pas que son destin était tout tracé, même s'il n'avait encore que vingt-cinq ans.

Il aurait à soutenir son père dans son grand âge. Il lui avait signifié bien des fois que c'était là le devoir de l'aînée, et qu'il ne devrait pas y manquer.

Mais s'occuper d'un doux vieillard plein d'affection, ce n'était pas la même chose que dépérir auprès d'un puritain virulent et fanatique...

Jimin avait caressé un moment l'espoir que Mr Kwon, le jeune vicaire avec qui Hwasa avait bavardé, trouverait l'une ou l'autre des deux sœurs suffisamment attirantes pour la demander en mariage.

Mais après l'interdiction qui leur avait été faite à toutes deux d'adresser de nouveau la parole au jeune pasteur, il avait fallu abandonner cet espoir-là, comme tous les autres avant lui.

Ses deux jeunes sœurs n'avaient pu supporter plus longtemps la tyrannie de leur père et leur vie de prisonnières. Mieux valait qu'elles se soient enfuies, après tout. Jimin, le plus raisonnable, était le mieux à même de composer avec le révérend, que l'âge rendait plus soupçonneux et plus irascible encore. A présent, il n'avait plus besoin de protéger Sunmi et Hwasa. Ne lui restait plus qu'à se soucier de lui-même, et à accepter que sa propre vie se déroule entre les murs du presbytère, dans le rôle d'oméga obéissant et accomplissant son devoir.