MÈRE

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Chère Mère,

Je commence cette lettre à un moment où ça ne va pas super bien dans ma vie. Genre vraiment pas super bien. Je te situe un peu dans le contexte pour que si un jour tu la lis tu ne sois pas trop perdue. J'ai 14 ans et 9 mois et on est au début des vacances de février de 2023, je suis en seconde et c'est un peu dur. Je pense que cette lettre va être un peu n'importe quoi alors si tu te perds à un moment ce n'est pas très grave, peut être qu'au fond ça reflète mon état d'esprit. C'est vrai qu'en ce moment je suis un peu perdue moi aussi, j'ai énormément de pensées qui se bousculent dans ma tête. Des pensées et des sentiments. Je suis tout le temps en colère par exemple. Une colère violente qui me donne souvent envie de m'éclater les poings et la tête contre un mur. Une colère qui me donne envie de taper tout et tout le monde, tout le temps. Une colère qui me ronge un peu plus à chaque moment. Une colère qui hurle sur tout le monde. Une colère qui me dit de tout contrôler. Une colère qui me terrifie. Et cette peur engendrée par ma colère me rend folle. Complètement folle. Je ne pense pas que tu imagines à quel point. J'ai l'impression d'être habitée par un truc qui dévore tout le bon en moi petit à petit. Qui mange tout ce qui est bien dans mon être. Je deviens une entité méchante, humiliante, violente... Je me déteste et je déteste tout le monde. À beaucoup de moments tu en fait partie. Je te déteste tellement souvent tu sais. Je suis peut être injuste mais je m'en fiche. Tu es tout le temps pareille. Tu as tout le temps l'air au bout de ta vie, comme si à cause de nous tu ne pouvais pas vivre. Tu rejettes tout le temps ta colère et toutes tes émotions sur nous et je les absorbe. Et j'en peux plus. Je suis à bout de force Maman. C'est vraiment très très dur de devoir  jouer le rôle de ton souffre douleurs.

Actuellement, on est deux jours plus tard. Je t'avais dit que ça allait être compliqué. J'ai aucune idée de ce qu'il y a écrit avant et je n'ai pas du tout envie de revenir dessus. En ce moment je pense que je ne suis capable de t'écrire seulement quand je suis en colère contre toi. Tu vois ? Encore cette foutue colère. Encore une fois je suis en train de pleurer. J'aurais des millions d'autres choses à te dire, à te raconter. Des choses à te décrire, à t'expliquer.
J' aimerais beaucoup tu sais ? Mais je ne suis même pas sûre que tu comprendrais. Tu chercherais inconsciemment à encore tout analyser. Je ne pourrais jamais avoir une discussion normale avec toi. Juste une mère et sa fille qui parlent de tout et de rien. Qui rigolent pour rien, qui me taquine. Je ne m'imagine tellement pas te raconter ma vie comme ça sans que tu me juges. Tu seras toujours là à te faire un avis arrêté sur les choses en me mettant en garde contre je ne sais quoi, en essayant de m'apprendre des choses. J'aimerais tellement que tu sois juste intéressée. Et pourtant c'est paradoxal parce que je déteste que tu t' immisces comme ça dans mon monde. Même en t'écrivant pour me libérer, je te vois dans ma tête me parler et me contredire. Tu m'envahis. Tu contrôles la moindre de mes pensées tout le temps. Tu es tout le temps dans ma tête à me faire des reproches. Et là je te vois me dire : « Bah oui c'est encore de ma faute ! ». J'essaye d'écrire le plus vite possible pour réussir à exprimer la moindre de mes pensées mais ça va trop vite. Ça fuse. C'est fou. En fait tu contrôles ma putain de vie même à distance. Dès que je pense quelque chose, que je fais quelque chose, que les autres disent quelque chose, je pense à ce que tu dirais, ferais. Parce que j'ai peur de penser différemment de toi. Là tu me dirais que c'est normal, que je suis quelqu'un de différent de toi, que c'est normal de penser différemment de toi. Et encore une fois tu ne me laisserais pas finir et tu chercherais à t'expliquer alors que j'aurais juste besoin que tu me prennes dans tes bras et que tu me fasse un gros câlin. Sans dire un mot. Les mots sont incroyables. Ils sont là pour franchir toutes les limites matérielles, immatérielles, ils franchissent toutes les frontières, ils peuvent tout exprimer de plusieurs manières différentes. Mais parfois ils atteignent quand même des limites. Avec toi on se sert trop des mots, avec Papa et Paul, pas assez. Mais d'un  côté comme de l'autre c'est dur à supporter. Exprimer tout sans les mots c'est dur, parce qu'il y a des choses qui ne peuvent pas être dites autrement. Mais exprimer tout avec les mots, c'est dire aussi. Pour moi elle est là la difficulté. Parce que les mots sont merveilleux, incroyables, magiques. Mais dangereux. Les mots sont très dangereux. Là tu hocherais la tête. Tu dirais que c'est vrai mais qu'ils font également des choses superbes. Mais ils me font peur. Pourtant je les manies bien. Je suis à l'aise avec eux. Et ça je ne suis pas sûre que tu le comprennes. Pourtant Maman j'en aurais besoin. Vraiment. D'apprendre à être à l'aise avec eux et les utiliser au bon moment, de la bonne façon.
Bref, j'aurais beaucoup de choses à te dire. Comme ça. Juste pour te parler. Un jour peut être j'y arriverai. Mais je t'aime Maman. Plus que tout le monde. Et c'est justement le plus grand problème.
Mila

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