𝐏𝐫𝐨𝐥𝐨𝐠𝐮𝐞

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Terre, 2083.

Gabrielle

— Gabrielle, va chercher de l'eau s'il te plaît. Je ne peux plus bouger, gémit maman.

Maman était atteinte de la nébulite cérébrale chronique. C'était quelque chose d'assez connu sur Terre, ça consistait en une dégradation progressive du cerveau, entraînant des pertes de mémoire et des troubles cognitifs. Au début, ça me rendait triste de la voir dans cet état. Mais aujourd'hui, je m'y suis bien habituée et Papa m'aide à m'occuper d'elle. Je prends mon sac à dos et abandonne Maman à contre cœur, couchée sur le sol de la cabane.

— Je reviens vite. Ne bouge pas.

Je traverse la grande allée du camp, déserte. Nous sommes arrivés ici il y a quelques jours seulement. On nous a accueilli alors que nous étions très fatigués après de longues journées de marche. Je suppose que maman et sa nébulite ont dû les pousser à nous accepter dans leur camp. Je ne connais pas encore grand monde, mais je sors souvent, et il est rare que je rencontre nos voisins.

Il fait trop chaud à l'extérieur. Je porte des vieux vêtements qui ne m'appartiennent pas. Les cabanes du camp sont faites de coton pour contrer la haute température. Nous sommes au printemps, en effet nous avons profité de l'hiver pour partir loin de l'endroit d'où nous venions.

J'ai les jambes qui flageolent, cela doit faire deux jours que je n'ai pas mangé quelque chose de consistant. Je marche à pas rapides, pour ne pas perdre de temps. Si Maman meurt de soif par ma faute, je m'en voudrais toute ma vie. L'eau que je cherche se trouve non loin du camp. En fait, l'eau est une des premières ressources manquantes à l'humanité depuis que tout a commencé, et le seul endroit où on peut encore en trouver, c'est dans les montagnes du nord. Mais personne n'aime aller là-bas. Souvent, des groupes de personnes mal intentionnées attendent et piègent les plus faibles.

Autour de moi les couleurs sont chaudes. Mais pas dans le bon sens. La plupart des bâtiments sont détruits, et dans les ruines on retrouve parfois des cadavres. C'est dégoûtant. Et ça pue.

Papa est parti aider d'autres personnes du camp, dans ce qu'ils appellent des missions. Ils partent plusieurs jours et reviennent avec de l'eau, de la nourriture, de quoi s'habiller et se couvrir le soir. Parfois, j'ai peur que Papa ne revienne jamais.

Les temps sont étranges. Le silence est sourd. Je n'ai jamais vraiment connu ce qu'était le monde d'avant, mais ils n'arrêtent pas d'en parler. Je suis sans doute la seule enfant du camp. Une de nos voisines attend un bébé, je me demande bien comment elle va pouvoir l'élever dans un monde pareil...

Je suis fatiguée. Maman n'a pas arrêté de se réveiller et de gesticuler cette nuit. Je fixe un trou parmi tant d'autres dans le sol. Des traces de la guerre. Parfois, j'aimerais plonger dans l'un de ces trous et disparaître dans leur profondeur.

J'arrive à la source. Un filet d'eau claire coule sur la montagne. Je passe un doigt sous l'eau : elle était déjà réchauffée par le soleil, mais toujours plus fraîche que celle que nous avons au camp. Je sors ma vieille gourde et la remplis ras bord. Je bois l'entièreté du récipient en quelques secondes seulement. J'avais soif. Je la remplis à nouveau avant de revenir sur mes pas.

Il demeure une odeur de cramé. En effet, presque tous les arbres avaient brûlé autour de moi. Volontaire ou pas, on ne saura jamais. Je regarde le ciel, nuageux et grisâtre.

— De la pluie ne me ferait pas de mal ! je me laisse crier, comme si je m'adressais aux nuages.

Je me sens seule au monde. J'aurais pu crier plus fort encore, ça n'aurait dérangé personne. J'ai pourtant repris mon chemin rapidement. Il y a des personnes dont on doit se méfier. Des clans dangereux, agressifs, qui tiennent à leur propriété et volent toutes nos affaires. Ce sont de sacrés humains, rongés par la fin du monde.

Heureusement, nous ne faisions pas partie d'eux. Je repense soudain à Maman et accélère le pas. Mon genoux me faisait mal. Hier, j'avais trébuché juste à l'entrée du camp.

Je marche ainsi pendant très longtemps. Ma bouche est sèche, tout comme ma gorge. Plusieurs fois, j'ai failli prendre l'eau contenue dans la gourde. Non, c'est pour maman. Soudain, il y eut un problème. Je ne reconnais pas le chemin. Et si je m'étais perdue ? Impossible, le camp n'est pas bien loin. Je presse le pas. J'entends puis vois une pierre rouler jusqu'à mes chaussures déchirées. Je me retourne furtivement, et c'est là que je les aperçois.

— Eh, petite. Tu sais que c'est dangereux de traîner toute seule ici ?

Astralis : La révolteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant