Seule avec ses névroses, elle prend son stylo pour griffonner quelques mots, mais il n'y a rien qui apparaît sur la feuille. Comme un écrivain, elle éprouve le syndrome de la page blanche. Rien qui sort. Juste un vide béant qui l'étouffe, un vide qu'elle ne sait ni combler, ni apprivoiser.
Le ciel est noir, presque comme ses larmes qui coulent sur ses joues et qui emportent le mascara avec elles. C'est une tragique image qui se dessine, mais qu'on ne peut qualifier autrement.
Elle voit dans ce ciel qui ne s'éclaire plus la beauté de sa peau nue.
Elle voit dans sa vie qui ne brille plus le souvenir de sa venue.
Il y a ces deux visages qui s'entremêlent et qui lui rappellent la douleur de l'absence. Elle conjugue deux deuils, celui d'une personne vivante, celui de quelqu'un qui n'est plus. Elle ne sait ce qui est le plus douloureux, entre les cendres qui symbolisent l'être disparu et celles de son amour perdu.
A vingt-deux ans, Auriane menait des études de droit dans une grande université parisienne. Elle est contrainte de tout abandonner du jour au lendemain, parce que sa belle-mère a emporté l'héritage à la mort de son père et que chaque recoin de la capitale n'est plus que souffrance. Souvenir des beaux jours, mais aujourd'hui le soleil ne brille plus, pourtant qu'est-ce qu'elle aimerait qu'il brille, comme avant.
Comme lorsqu'elles dansaient en bas de l'Opéra.
Elle a retrouvé la maison de sa grand-mère et de sa mère, aux abords de Monaco, là où, paradoxalement, elle n'aurait jamais voulu remettre les pieds mais où là, pourtant, tout a commencé.
Elle se rappelle d'un soir sur la côte monégasque où elle l'a embrassé. Elle avait les cheveux enroulés dans un chouchou en soie rouge et elle était encore plus belle que d'habitude. Ses yeux rivés vers la mer semblaient voir l'avenir avec certitude.
A Paris, tout était parfait.
Jusqu'au drame.
Les deux jours qui ont suivi, la femme de sa vie n'était plus la même. Et puis, elle a disparu. Cependant, Auriane sait qu'il n'y a qu'un vice qui a rongé les tripes de celle qu'elle aimait.
La cupidité.
Cupide, elle voulait sur l'or graver son nom.
Et elle a piétiné Cupidon.
Auriane éprouve une tristesse immense, mais elle ne veut pas s'y enfoncer pour autant.
La vie ne s'arrête pas même si on croit qu'elle le fait.
Demain, elle prendra le large sur son catamaran. Quand plus rien n'a de sens il ne reste plus qu'une chose, la liberté d'être. Elle a besoin de respirer dans ce monde qui l'étouffe. Et quoi de mieux que de partir en pleine mer ?
Elle veut tout oublier et tout recommencer.
La nuit sera blanche, mais elle espère que ce sera la dernière et que l'air marin la fera s'assoupir sans qu'elle n'aie à le supplier, que l'eau glissera sur ses mains et lui apportera l'accalmie qu'elle a tant cherché.
Un havre de paix niché dans un des cinq éléments.
La musique des vagues et le souffle du large sauront la consoler.
Au petit matin, la météo est clémente et elle se hisse sur son bateau. Les voiles se tendent au rythme de la corde qui remonte. Elle n'accorde qu'un simple regard à sa mère et à sa grand-mère qui tenaient à l'accompagner, alors qu'elle ne leur avait pas demandé. Elle ne supporte plus aucune présence, le sourire de sa grand-mère qu'elle trouvait autrefois enjôleur, aujourd'hui la répugne. Pourtant, elle l'aime, avec les derniers débris de son cœur qu'il lui reste. Pour la première fois de sa vie, elle a besoin d'être seule, complètement seule, et il n'y a que le large capable de lui offrir aujourd'hui.
Le silence est un bien précieux qu'on ne considère que trop peu, dans ce monde où le bruit est assourdissant, omniprésent.
La terre s'éloigne et lorsqu'elle se retrouve au beau milieu de l'eau, elle replie sa voile, avec cette boule dans la gorge qui ne la quitte pas. Elle se met à pleurer au moment où ses pieds rentrent en contact avec la mer, comme s'il y avait en cette dernière une énergie libératrice.
Elle ne sait plus si cela fait plusieurs jours ou plusieurs années qu'elle broie du noir. Auriane a perdu toute notion du temps. L'aiguille de sa montre est déréglée. Lorsque la nuit tombe, elle a le sentiment que seulement quelques secondes se sont passées depuis son levé. Elle se rend compte également qu'elle n'a rien sur son bateau, pas de quoi se nourrir, pas de quoi s'endormir. Elle se demande où elle avait la tête.
Ailleurs, assurément.
La jeune femme remonte jusqu'à la rive. Elle amarre son bateau et descend pieds nus sur le ponton. Un groupe d'amis se tient non loin de là, chacun une cigarette à la bouche. C'est tout juste si la fumée ne les ensevelit pas tous entiers. Ils toisent Auriane d'un air interrogatif. Monaco est un petit pays, mais aucun d'entre eux ne la reconnaît. A vrai dire, ils semblent à peine majeurs.
— Bonsoir, commence-t-elle. Excusez-moi, est-ce que je peux vous emprunter un téléphone ?
Un blond aux cheveux bouclés hoche la tête et lui tend un cellulaire qui, visiblement, ne date pas d'hier. Les fissures sur l'écran empêchent presque d'y voir correctement.
— Vous pourriez même le garder, il ne fonctionne presque plus, dit-il en haussant les épaules.
A vrai dire, elle ne l'écoute pas. Elle tente de se remémorer le numéro qu'elle a tapé tant de fois. Lorsqu'elle appuie sur le bouton vert et que l'appel est lancé, elle prie intérieurement de ne pas s'être trompée.
— Allô ? retentit une voix ensommeillée.
Elle se maudit d'avoir pris tant de temps à le rappeler, se maudit de l'avoir laissé tomber, se maudit d'avoir écrasé leur longue amitié au profit de cette tristesse, se maudit de l'avoir rejeté. Une main se glisse dans ses cheveux, et elle se retourne pour ne pas avoir à faire face aux inconnus qui l'observent.
Les pensées peinent à s'articuler dans sa tête. Pourtant, les quelques mots qu'elle a à prononcer ne relèvent d'aucune difficulté.
— Arthur, c'est Auriane.
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TRIPALIUM ; Charles Leclerc
FanfictionLe monde est étroit, les cœurs s'emboîtent parfois, comme si tout était calculé face à un destin inexpliqué. Auriane Saint-Léger et Charles Leclerc, devant d'autres.