Chapitre 19

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Notes :

You're so ahead of yourself
that you forgot what you need

          — Vienna, Billy Joel

L'aise financière permettait à Suguru de ne pas croupir dans des hôtels miteux, lorsqu'il était en déplacement. Celui-ci coûtait un bras; il n'avait pas eu le réflexe d'y réserver une chambre plus tôt, et le centre-ville d'Osaka était bondé toute l'année.

"Oui ?" Ieiri avait décroché à la dernière sonnerie.

Il n'aurait pas rappelé. En pleine nuit, Suguru venait d'éteindre la télé; souvent, depuis qu'elle était partie, le silence lui donnait de mauvaises idées. Sa chambre était trop bien isolée, le vacarme de la vie nocturne, en bas, n'atteignait pas ses vitres.

"Comment tu vas ?" Lança-t-il, tentant de camoufler son regret immédiat.

"Moi ? Bien," elle rétorqua, laissant flotter l'évidence, "je me demandais quand ça te prendrait." 

"Ah..."

Il était deux heures passées. Suguru avait déjà oublié ce qu'il venait de visionner toute la soirée tant il n'y avait que peu prêté attention.

"Dis-moi. C'est elle, ou toi ?"

Et Ieiri n'aimait pas passer par quatre chemins. On entendait voleter des feuilles de papier à l'autre bout du fil, tout un tas de mouvements en rangement.

"Pourquoi tu me mets toujours au pied du mur, comme ça," perturbé, il rétorqua, incapable d'organiser ses pensées. La télévision éteinte l'avait plongé dans la pénombre, mais les néons éclatant des rues passantes lui parvenaient du dehors et ombraient un peu les murs de couleurs chaudes.

"Tu ne le fais pas toi-même. Et sa sœur t'insulte sur son Twitter privé depuis trois semaines, au moins."

Il soupira.

"Pourquoi tu la suis, déjà ?"

"Elle a de bons goûts littéraires."

Jamais la sœur d'Ayumi ne lui avait été appréciable. La belle-mère était bien plus agréable.

"Si ça l'amuse," las, il accepta la nouvelle; l'âge des commérages et de la curiosité mal placée lui était passé depuis longtemps.

"Alors ?"

"Elle a rien dit sur Ayumi ?"

"Suguru."

"Ouais, oublie," il s'y résigna ; les chances que Ieiri s'implique dans l'histoire d'une quelconque manière étaient minces.

"C'est moi," reprit-il, "et c'est elle aussi."

Les insultes de la sœur à son égard lui vinrent à l'esprit, imagées, criardes d'infidélité.

"Si t'as vu ses tweets, pourquoi tu me le demandes ?"

Il le réalisa; le compte, privé, devait regorger des détails les plus pointilleux sur la situation. À cette question, Ieiri marqua une pause dans le combiné, l'air contrarié.

"Je pouvais pas croire que t'en sois arrivé là sans plus d'explication."

L'aveu lui ôta un poids au cœur; Ieiri, au courant depuis longtemps, avait répondu à son appel, ne l'avait pas détesté, avait trouvé important de venir trouver sa version, fidèle à elle-même.

"Mais tu me déçois beaucoup."

L'égo vacilla.

"Je sais." 

SakenoanaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant