Je suis à nouveau devant cette grande bâtisse. Elle me semble plus effrayante que la première fois, la voir n'est jamais synonyme de bonheur. J'ai une impression de déjà-vu : la même robe, les mêmes sandales, le même objectif : la boucle est bouclée. Au sens propre. Je ne l'ai pas dit à mes amis, mais je viens de refermer une boucle temporelle que j'ai moi-même créée.
Une chance qu'ils ne l'aient pas compris, ils ne baignent pas dedans depuis aussi longtemps que moi. Leur aide m'a été précieuse, j'ai tout pour arriver à mes fins, même si je sais que par conséquent, il va y avoir de la casse.
J'avance sans m'arrêter, la grande porte, les escaliers, la porte d'en haut ; je passe devant tout sans tourner la tête une seule fois. Je me retrouve devant les quatre portes, encore un mystère que je n'ai pas le temps de résoudre. Pourquoi quatre et non trois... Comment le grimoire a-t-il pu se tromper ?
Cette fois, je ne me fis pas à mon instinct, le chemin à suivre s'ouvre à moi.
« Tu peux voir ce qui n'est pas visible à l'œil nu. »
Porte de gauche, j'ouvre. Une forêt.
« Merci de m'accueillir, la Magnificence. Je m'excuse si je ne me comporte pas comme il le faut, je fais de mon mieux. »
Après mes remerciements rapides, je m'enfonce entre les arbres. Le climat est agréable, des bruits d'oiseaux viennent d'un peu partout et très vite, une montagne se dessine à ma droite. J'avance, sûre de moi sans savoir pourquoi. J'ai l'impression de savoir exactement où je dois aller.
Je ne profite pas même si j'apprécie la température et le contact doux de ma robe contre mes jambes. Je remercie mes cheveux mi-longs de laisser ma nuque dégagée et me permets de retirer mes chaussures.
Sans réellement comprendre ce qu'il se passe devant moi, je reste bouche bée devant la vue surréaliste qui se déroule devant moi.Une maison en bois est posée là, en plein milieu d'un espace sans arbre et au pied de la montagne. Un potager avec quelques arbres fruitiers se trouve à quelques mètres devant moi et plusieurs fruits et légumes, poussant à des saisons et climats différents ont apparemment réussi à se développer ici et attendent maintenant sagement la cueillette. Bananes, oranges, fraises, cerises, courgettes, citrouilles, concombres, aubergines, tomates... Il y a beaucoup de variétés.
Je m'approche de la maison en bois brut qui laisse dégager une odeur persistante de crème. Devant, toujours aucune présence humaine. Je me surprends à rester calme face à tout cet univers, étrangement reposant.Je me tiens droite et tente de bien présenter tandis que je toque, trois bons coups afin qu'on m'entende facilement. Tous les bruits de la maisonnette se stoppent tandis que j'attends patiemment.
Une bonne minute plus tard, j'entends la porte grincer et je la vois s'ouvrir, centimètre par centimètre comme dans un mauvais film d'horreur.
« Eirlys c'est toi ? Oh mon Dieu ! C'est bien toi ? »
Elle me saute dans les bras et je la serre, parce que moi aussi, je l'ai reconnu tout de suite. Thalia, ma sœur dont je pourrais à nouveau prononcer le prénom à voix haute.
« Oh Thalia, si tu savais comme tu m'as manqué ! Tu as grandi toi aussi ! »
On se sépare et comme lorsque nous étions enfants, nous passons nos mains sur les joues et dans les cheveux de notre moitié respective.
Ses cheveux sont toujours du même brun que le mien et lui arrivent aux hanches, elle porte une robe qui semble faite de laine, d'une blancheur parfaite et dont la longueur s'arrête juste au-dessus des genoux. Mis à part ces changements, la seule chose qui me frappe sont ses yeux chocolat qui me regardent de haut.
Un rapide coup d'œil à ses chaussures brunes et je constate qu'elle me dépasse d'une bonne dizaine de centimètres.
« Je pensais que tu avais toujours rêvé d'avoir les cheveux longs. »
Je souris.
« Et moi que tu aurais les cheveux rouges. On a tant à se dire Thalia... Ça fait tellement d'années... Tu vis seule ? Comment as-tu fait ? Es-tu là depuis nos six ans ? Y a-t-il d'autres personnes ? Pourquoi être partie ? Tu sais que je t'aime plus que tout, mais que j'ai aussi envie de te claquer pour être partie ? »
Je n'ai pas pu m'en empêcher. Ça a été si dure de la retrouver ; on a vingt ans. Nous avons grandi séparément et pourtant encore aujourd'hui, je suis prête à tous les sacrifices pour elle. J'ai besoin d'elle et de son affection, mais aussi de réponses.
Elle me sourit tendrement et enveloppe ma main de la sienne. Comme lorsque nous étions petites, elle prend le temps de répondre à tous.
« Je vis seule. Comme tu l'as vu, j'ai un superbe potager et il y a beaucoup d'animaux dans la forêt et la montagne. Oui, depuis nos six ans jumatate. Il y a d'autres humains, dont un qui m'a appris comment vivre ici. Mais nous ne nous voyons que pour chasser et n'entretenons aucun lien affectif. C'est grâce à eux que j'ai survécu et que je suis instruite. Je ne peux te le dire. Je t'aime plus que tout autre chose et je t'autorise à me mettre une baffe pour le mal que je t'ai fait en partant. Je t'en prie, retiens que c'était pour le mieux jumatate. »
Abasourdie. Il n'y a pas d'autre mot pour décrire comment je me sens.
« Je comprends. Enfin non.
Clairement pas. Je t'aime Thalia. »J'ai tant besoin de le lui dire, encore et encore. Mon cœur bat si fort, j'ai l'impression d'être complète à nouveau. Ce visage qui ressemble tant au mien, et qui à la fois est si différent dans la personne qu'il renferme, que je vois de mes propres yeux. Cette femme qui a grandi, ma sœur, ma jumelle, loin de moi.
« Je t'aime Eirlys. »
Sa voix résonne dans mes oreilles et j'ai le besoin irrépressible de poser la question qui fâche.
« Es-tu restée de ton plein gré ? »
Son visage se décompose puis sa main resserre sa prise sur la mienne, qui est plus douce, moins rugueuse, et plus petite.
« Oui jumatate. Je suis là de mon plein gré. Tu pourras rentrer demain à l'aube par le portail externe. Je savais au fond de moi que tu viendrais. Alors même si les autres ont dépassé la montagne, je suis restée prêt de l'entrée pour t'attendre et te ramener. Ne t'en fais pas, il n'y a aucun danger dans la Magnificence. Aucun. »
Alors elle imagine passer une nuit avec moi avant de me ramener en restant ici ? Pour ne plus jamais la revoir ? Avec la force de notre lien ? Après tout ce que j'ai fait ?
« Tu n'as aucun lien avec eux, tu me l'as dit avant. Je t'en supplie jumatate, rentre dans le vaste monde avec moi. Je mettrais mes affaires en ordre et si tu souhaites vivre comme ici, alors nous irons à la campagne toutes les deux ! »
Elle soupire et ma voix craquèle un peu plus à chaque mot.
« Non. Je reste ici. Je sais que tu souhaites t'énerver, mais profites de notre soirée ensemble. Profitons pleinement de la sensation d'être complètes. D'être réunies. D'être la seule chose dont l'autre a besoin. »
Énervée, mais profondément triste et déterminée à ne pas la lâcher, je la laisse m'entraîner à l'intérieur.
Déception. Sacrifices. Je pense qu'elle sait, au fond, mais qu'elle se refuse à l'admettre pour le moment.
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La Magnificence - Tome 1
FantasyEirlys veut la retrouver. C'est son unique raison de vivre depuis ses sept ans. Pour ce faire, elle doit traverser des épreuves, toutes plus douloureuses les unes que les autres afin d'entrer dans la Magnificence. Tout porte à croire qu'elle ne peut...