Par un sinistre jour de décembre, treize coups de feu retentirent simultanément, suivis d'un long silence endeuillé. Les premières chutes d'obus les ramenèrent à cette triste réalité : l'enfer n'est pas encore terminé et ne se terminera pas de si tôt.
Clovis serra son fusil de toutes ses forces, lançant un regard à ses camarades, tous aussi effrayés que lui. Aujourd'hui, ils vont devoir retourner en ligne de front à leur plus grand désespoir. Le 24 décembre 1916...le jour du réveillon...Le jeune homme de trente ans prit d'une main tremblante sa gourde et but une grande rasade d'alcool pour se donner un minimum de courage. Il sentit le liquide se répandre dans tout son corps, lui donnant de l'énergie mais, bizarrement, la tristesse et la peur revinrent rapidement à la charge, le plongeant dans des idées bien sinistres, assis par terre. Et s'il s'enfuyait ? Verdun n'est pas loin de Paris...peut-être aurait-il le temps de rejoindre la capitale pour fêter Noël avec sa femme et son petit garçon ? Il eut soudainement honte de penser cela. Abandonner sescamarades qui sont dans le même merdier que lui ? Jamais...mais...juste un soir ? Il déglutit et se rappela sa vie avant le début de la belligérance. Notable, le soldat adorait enseigner à son garçon tout juste âgé de huit ans les herbes et insectes qu'il y a dans leur serre. Dire qu'il va faire ses dix ans cette année...Et son épouse Lisa ? S'en sort-elle ? Est-ce que son défunt ami Pierrot avait raison ? Il se souvint d'un propos qu'il avait dit en secouant la tête :
- A quoi bon leur écrire ? Notre famille ne recevra rien. Ils ne savent pas que l'on vit une souffrance sans nom.
Au début Clovis ne l'avait pas vraiment cru. Mais plus le temps passait, plus il doutait, jusqu'à l'utilité de cette guerre, à quoi bon se battre ? Cela ne sert plus à rien. Lorsqu'il était parti dans un convoi pour les frontières allemandes, il était persuadé de revenir avant la fin des vacances d'été. Voilà pourquoi il avait quitté Lisa le sourire aux lèvres. Revenir vivant...il était beaucoup plus pessimiste maintenant. Deux ans qu'il est en guerre. Deux ans qu'il vit un enfer. Deux ans qu'il se cache dans ces putains de tranchées. Des murmures inquiets venant des autres poilus le sortirent de ses pensées, le prenant au dépourvu, quand il comprit enfin. Le vent tourne...Ne voulant prendre aucun risque, il prit son masque à gaz et l'enfila. Il eut immédiatement des difficultés à respirer, voyant à peine à un ou deux mètres devant lui. Il ne reste plus qu'à attendre.Clovis soupira et s'assit par terre, regardant régulièrement le ciel, aux aguets. Quand on est en première ligne on prend le risque de recevoir un obus sur la tête à tout moment. Il pensa aux allemands de l'autre côté, ces monstres sans cœur. Qu'ont-ils fait aux habitants des régions occupées ? On leur a dit qu'ils martyrisaient et coupaient les mains des enfants. Il frissonna, dégoûté. Le général Pétain, lui, s'occupe bien de ses soldats. C'est le seul qui sait se mettre à leur place...
Il regarda son bras recouvert d'un bandage sanguinolent. Clovis ne se faisait pas d'illusion - il était médecin - il va bientôt perdre son membre. Patrick vint s'assoir à côté de lui, déposant son fusil par terre en soufflant.
- Ces connards de rongeurs ne veulent pas partir...
- Qu'est-ce que tu veux...ils ont des cadavres à volonté, lui répondit Clovis en haussant les épaules.
- Avant-hier y en a un qui voulait me manger le pied ! C'est remplis de maladies ces trucs ! répliqua Patrick, une horreur...
- Patrick...
Clovis regarda autour de lui pour vérifier que personne ne les écoutait. Il se mit tout de même à chuchoter par précaution. Le français savait que son ami était quelqu'un de fiable et qu'il le comprendrait, lui qui avait dû quitter sa femme, comme Clovis, pour venir dans cette tranchéequi causera forcément leur perte.
