Chapitre 18 - Maeve

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« Je vais me charger personnellement de toutes les détruire. Toutes, sans exception. »

Non. Ce n'était pas ça. Il y avait autre chose... quelque chose qu'elle avait voulu oublier il y a longtemps, très longtemps.

« Je vais tous les détruire ! Tous, tu m'entends ?! »

Elle reconnaissait la voix. C'était son frère. Luck. Luck... tellement similaire à elle. Tellement différent. Tellement parfait, horrible, gentil, violent, modeste, prétentieux. Tout chez lui changeait selon les points de vue.
Maeve conservait peu de souvenirs de ses parents. Ils étaient morts quand elle était petite. Morts par sa faute. Mais elle ne s'en souvenait pas.

« Oh, vous êtes tellement mignons, comme ça ! On voit que vous êtes frère et sœur. S'il n'y avait pas tant d'écart d'âge on vous prendrait pour des jumeaux ! »

C'était... sa mère. Sa mère... elle n'avait qu'un souvenir flou de son visage. Mais elle se souvenait qu'elle avait les mêmes yeux mauve qu'elle, et des cheveux presque aussi clairs. Presque. À l'époque, les siens aussi étaient plus blonds que blancs. Mais elle avait changé depuis. Plus qu'elle ne voulait bien se l'avouer.

« Oui, enfin... ils ne se ressemblent pas tant que ça. Luck a mes yeux à moi. N'est-ce pas, mon garçon ? »

Oh... elle avait oublié ça. Son père. Il faisait ça à chaque fois. Dès que sa mère évoquait une quelconque similarité entre elle et Luck, il s'empressait de la réduire à néant. Il ne voulait aucune ressemblance entre son fils, ce fils dont il était si fier, ce fils qui suivrait la même voie que lui en accédant à un poste important, ce fils si admirable et... elle. Elle, la deuxième, le fantôme, cette fille trop faible pour résister au froid, cette fille si petite et maigre pour son âge, qui se blessait tout le temps, qu'un simple coup brisait en mille morceaux, elle. Non, son père n'avait jamais voulu qu'elle soit associée à lui. Il ne lui parlait que rarement et n'avait prononcé son nom qu'une seule fois. Une seule et regrettable fois.

« Tu peux demander à ta fille de mettre la table ?

Arrête de dire ça ! C'est ta fille aussi, je te signale, et elle a un prénom !

Comme tu veux. Tu peux demander à Maeve, notre fille, de mettre la table ? »

À ce moment-là, elle se trouvait juste entre les deux adultes. Écoutant chacun des mots, mais invisible aux yeux de ses parents. Aux yeux de tout le monde. Ce genre de comportement avait tendance à la rendre assez triste, puisqu'elle n'était même pas assez affirmée pour ressentir la moindre colère, mais... cette fois... elle avait été tétanisée. Incapable de faire le moindre mouvement, bloquée dans l'éternel instant qui avait brutalement changé sa manière de voir son père.

Il l'avait appelée par son prénom, pour la première et la dernière fois. Elle aurait dû s'en réjouir. Mais comment se réjouir alors qu'il avait presque craché le mot, à contrecœur, comme si prononcer son nom lui brûlait la gorge, lui laissant un arrière-goût de déception et de dégoût ? Ce jour-là, elle avait réalisé qu'elle pouvait être une petite fille parfaite, si elle le souhaitait, ça ne changerait rien. Elle pouvait devenir aussi incroyable que Luck, rien n'y ferait. Son père n'accepterait jamais la petite fille désemparée qu'elle avait été et, s'il avait été encore en vie, il n'aurait pas non plus accepté l'adolescente fragilisée par la douleur qu'elle était devenue. La douleur... cela sonnait étrangement à ses oreilles, résonnant dans sa tête à l'infini. Elle s'y était habituée, à force. Elle s'était habituée à toujours ressentir ce sentiment oppressant, omniprésent et tout-puissant qu'est la peur. Ça, elle n'avait aucun mal à l'identifier. C'était la seule émotion qu'elle savait nommer, la seule sur laquelle elle pouvait compter, qui serait toujours là, quelque part, dans un coin de son esprit. Ça na s'arrêterait jamais. Non, évidemment que non, rien ne s'arrêterait jamais.
Les coups continueraient de pleuvoir, les insultes à fuser, le sang à couler et les cicatrices à se rouvrir les unes après les autres. Elles n'avaient jamais le temps de se refermer complètement et il était fréquent que, sans raison particulière, elles se remettent soudain à saigner. Contrairement à ce qu'elle avait espéré au début, son corps n'avait pas appris à encaisser et à se soigner plus efficacement au fil des années. Bien au contraire. Il s'affaiblissait un peu plus à chaque fois. Les bleus ne partaient plus avant longtemps. Les entailles ne disparaissaient plus du tout, laissant des marques impossible à effacer sur sa peau. Même la douleur, qui au début passait au bout de quelques heures, ne voulait plus la lâcher. À l'instant, son épaule la lançait encore d'un ancien coup de poing qu'elle avait voulu éviter. Elle avait plus ou moins réussit la manœuvre, étant donné qu'il visait son visage. Mais elle avait été atteinte, et son os n'avait pas particulièrement apprécié.

Killer Queens [VERSION FRANÇAISE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant